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Inde, l’unité mise à rude épreuve

 

Thèmes: Société - Politique

La Tribune, 16 décembre 2008

POINT DE VUE
PATRICK DE JACQUELOT
Correspondant de « La Tribune » à New Delhi

« Nous devons dépasser les questions de castes, de classes, de régions et de religions. » C’est l’appel lancé par un groupe d’imams indiens suite aux attaques terroristes qui ont frappé Bombay. Un appel destiné à exprimer la solidarité des musulmans indiens avec le reste du pays, mais qui sonne aussi comme une énumération inquiétante des lignes de fracture qui parcourent la société indienne. Car, dans ces domaines, les violences se multiplient, au point de susciter parfois des craintes quant à la stabilité même de la nation.

La crise la plus sévère affecte les relations entre la majorité hindoue et la minorité (15 % des 1,1 milliard d’habitants) musulmane. Même si les auteurs des attaques de Bombay sont venus du Pakistan, ces derniers temps ont été marqués par la montée en puissance d’un terrorisme musulman 100 % indien. « Il y a beaucoup de frustration chez les musulmans qui ont le sentiment d’être tenus à l’écart du développement du pays », analyse Zoya Hasan, professeur à l’université Nehru de Delhi et membre de la Commission nationale des minorités. Parmi les facteurs de mécontentement figurent un niveau de vie inférieur à la moyenne, le fait que les mesures de discrimination positive ne s’appliquent pas à eux, ou encore l’impunité dont semblent jouir les auteurs hindous de crimes contre les musulmans.

Ne se sentant pas en sécurité, les musulmans vivent dans de véritables ghettos, estime le sociologue Dipankar Gupta, ce qui nourrit « une sous-culture qui ne favorise pas un état d’esprit paisible ». Du coup, certains éléments optent pour le terrorisme, ce qui donne des armes aux partis hindous extrémistes, comme le BJP.

Mais la rivalité entre les deux principales religions n’est pas la seule source de violence. Dans les mois récents, on a vu des hindous fanatiques s’en prendre aux chrétiens dans l’État d’Orissa, tandis qu’un parti ultranationaliste du Maharashtra, dont la capitale est Bombay, s’attaquait aux « Indiens du nord » venus dans la capitale financière du pays manger le pain des purs Maharashtriens... Pendant ce temps, la guérilla naxalite (maoïste) gagne du terrain en s’appuyant sur la misère des paysans, des mouvements indépendantistes agitent le nord-est de l’Inde, tandis que la crise du Cachemire, coincé entre l’Inde et le Pakistan, semble insurmontable.

Pavan Varma dénonce les partis politiques qui prônent la violence

« Il ne fait aucun doute que la société indienne est moins tolérante qu’avant », estime Zoya Hasan, qui y voit l’effet de la « complexité extraordinaire » de celle-ci, avec ses mosaïques de castes, de langues, de religions, ses immenses inégalités, et, paradoxalement, de la croissance récente. « Nous n’avons pas réussi à ouvrir des opportunités aux plus défavorisés », déplore-t-elle. À cela s’ajoute l’action destructrice de partis politiques « qui prônent la violence pour des gains à court terme », dénonce Pavan Varma, directeur général du Conseil indien des relations culturelles et essayiste réputé*.

Jusqu’où tout cela peut-il aller ? Faut-il craindre pour la cohésion de l’Inde, dont la pérennité tient du miracle dans un monde où la Flandre veut se séparer de la Wallonie, l’Écosse de l’Angleterre et où les mouvements indépendantistes mettent en cause l’existence de nombreux pays ? On n’en est pas tout à fait là : les forces qui ont préservé l’unité de l’Inde depuis l’indépendance, en 1947, sont toujours présentes. Au-delà des partis extrémistes, le gros de la population a des réflexes de solidarité. Ces derniers jours, les musulmans multiplient les dénonciations des attaques de Bombay. Et il est remarquable qu’aucun mouvement de représailles antimusulman n’ait été signalé.

L’extrême complexité de la nation indienne produit parfois des résultats surprenants. Plusieurs des acteurs les plus en vue du cinéma de Bollywood s’appellent Khan (Shahrukh Khan, Aamir Khan, Salman Khan), nom typiquement musulman, et ils sont idolâtrés par la totalité de la population. Un sentiment national très fort, la fierté d’appartenir à l’un des plus grands pays de la planète, sont couramment exprimés par des Indiens de tous les milieux. La mobilité professionnelle des jeunes diplômés est totale et le monde des affaires est global : quand le groupe Tata s’est heurté à un rejet de son usine automobile près de Calcutta, à l’est, sous un gouvernement local communiste, il s’est déplacé au Gujarat, à l’autre extrémité du pays, sous gouvernement BJP, c’est-à-dire droite dure.

Plusieurs facteurs puissants contribuent à préserver l’intégrité de l’Inde, analyse Pavan Varma, dont « la démocratie qui, en permettant les changements, fournit une soupape de sécurité », une « unité culturelle profonde » au-delà de la diversité apparente, appuyée sur une longue histoire commune, et aussi la montée récente d’aspirations à un mode de vie consumériste qui fait que, désormais, « tous les Indiens ont des aspirations communes » en matière d’éducation, de travail, de consommation...

La capacité de résistance de l’Inde aux tensions les plus extrêmes est donc forte. Mais la pérennité des miracles n’est jamais assurée.

* Voir notamment son livre : « Le Défi indien » (Actes Sud).

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