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Les Indiens des champs se ruent sur les mobiles

 

La Tribune, 22 avril 2009

Les opérateurs signent plus de 10 MILLIONS DE NOUVEAUX ABONNEMENTS par mois.

PAR PATRICK DE JACQUELOT, à New Delhi

 

En Inde, les routes sont généralement dans un état pitoyable, le réseau électrique reste chaotique et le traitement de l’eau peu efficace. La seule infrastructure réellement passée à la modernité est le téléphone. Le pays comptait, au 31 décembre dernier, 385 millions d’abonnés. Et les opérateurs parviennent désormais à recruter plus de dix millions de nouveaux clients par... mois.

Cette poussée vertigineuse s’appuie il est vrai sur une technologie requérant des investissements peu coûteux. Car, ici, le réseau de téléphonie fixe relève de l’exception. Neuf abonnés sur dix se contentent d’un mobile. Dans les grandes villes, tout le monde a le sien, y compris les chauffeurs de rickshaws et les
femmes de ménage. « La croissance [de la téléphonie mobile] dans l’Inde urbaine approche de la saturation », souligne d’ailleurs un récent rapport de Capgemini. Mais si les citadins sont équipés à plus de 75 %, dans les campagnes et les grosses bourgades qui parsèment l’Inde, le taux d’équipement est plutôt de 13 %.

Le potentiel de développement de la téléphonie mobile y est donc colossal : 65% à 70% du 1,1 milliard d’Indiens vit en zone rurale. Ce qui fait environ 700 millions de personnes, parmi lesquelles beaucoup ne rêvent que d’accéder enfin à la téléphonie. Voici quelques années, une telle aspiration tenait du fantasme. Les Indiens des campagnes n’auraient jamais eu de quoi s’offrir un abonnement. Mais la forte chute des prix des combinés et des communications (1 centime d’euro la minute) rend désormais la téléphonie mobile accessible, y compris aux plus modestes des familles indiennes.

Se procurer un téléphone n’est pas, pour un agriculteur ou un artisan, acquérir un instrument de confort comme pour la plupart des citadins. Ce simple objet de communication va changer leur vie. Comme l’affirmait récemment dans une conférence le secrétaire d’État rattaché au Premier ministre Prithviraj Chavan, la téléphonie mobile doit permettre « de donner à l’Inde rurale les moyens de s’intégrer à l’économie globale du pays, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ».

Pas besoin d'être un citadin sophistiqué pour avoir un portable

Les nombreuses expériences menées en Inde (voir ci-dessous) montrent en effet  que l’accès aux communications et à l’information peut bouleverser les conditions de travail des plus modestes : le paysan accède aux cours des denrées et peut ainsi vendre sa propre production dans de meilleures conditions, le pêcheur reçoit la météo, l’artisan peut développer sa clientèle... Une étude menée par l’institut d’études économiques Icrier conclut que l’accès à la téléphonie a un impact très sensible sur l’activité économique : entre deux régions comparables, celle ayant 10 % de téléphones en plus bénéficierait d’une croissance supérieure de 1,2 %. L’apparition d’un effet de réseau, quand la pénétration du téléphone dépasse les 25 %, accentuerait encore le phénomène.

SERVICES SOPHISTIQUÉS

L’importance de la généralisation du téléphone mobile dans les campagnes est en outre démultipliée par le fait que c’est avec ce combiné que les Indiens accèdent à Internet. Fin décembre 2008, seuls 12,85 millions d’internautes utilisaient leur ordinateur personnel pour surfer sur le Web. En revanche, 101 millions de personnes avaient accès à la Toile grâce à leur téléphone mobile. Selon Ernst & Young, ils seront 196 millions dès 2012. Le développement de l’accès à Internet sur mobile, suivi de l’apparition programmée de la 3G, devrait accélérer encore l’impact des technologies de l’information dans les campagnes, en donnant accès à des services beaucoup plus sophistiqués de télémédecine, d’éducation à distance, etc.

Encore un peu théoriques, de telles perspectives devraient se concrétiser assez rapidement. En attendant, le développement de ce colossal marché présente bien des défis pour les professionnels. Azim Premji, président de la SSII Wipro, évoque le caractère aléatoire de l’approvisionnement en électricité, qui oblige à utiliser des technologies très peu consommatrices ; la très faible utilisation à ce jour d’appareils électroniques dans le monde rural, qui rend nécessaire le déploiement de techniques très simples d’utilisation ; la nécessité de comprendre des consommateurs très différents de ceux auxquels les opérateurs sont habitués...

Ces derniers doivent également financer le déploiement d’un réseau dans des régions d’accès difficile. Cela dit, ce problème a été partiellement traité avec la mise en commun d’infrastructures et l’utilisation des fonds de la cagnotte du service universel à laquelle contribuent tous les opérateurs. Ils doivent aussi prendre en compte le multilinguisme d’un pays qui compte une vingtaine de langues officielles. Il leur faudra enfin traiter avec des clients faisant un usage extrêmement prudent de leur téléphone. Pour l’heure, dans l’Inde rurale, le revenu mensuel moyen de l’opérateur est de l’ordre de 100 roupies (1,50 euro) par téléphone. La généralisation de la téléphonie dans des couches sociales de plus en plus défavorisées ne devrait pas améliorer ce ratio moyen.

Pas de quoi, pourtant, arrêter les opérateurs indiens, qui ont déjà montré qu’ils pouvaient faire des profits en pratiquant les tarifs les plus bas du monde. Pour conquérir les centaines de millions d’habitants des campagnes, ils sont prêts à réduire encore davantage les coûts en innovant dans tous les domaines. À titre d’exemple, l’opérateur Airtel, leader du marché, a fait alliance avec un réseau de coopératives agricoles, qui assureront la distribution de ses téléphones.

 

Des paysans et des pêcheurs clients de Reuters

Expérience de téléconsultation entre un hôpital de campagne et l'Apollo Hospital de Chennai

Chaque jour, 80.000 Indiens se connectent aux services d’informations spécialisées de Thomson Reuters pour prendre leurs décisions financières. Ils ne sont pas traders mais paysans. Le service Reuters Market Light (RML), lancé voici dix-huit mois par le géant de l’information financière mondiale, leur permet de recevoir par SMS sur leur téléphone mobile des informations personnalisées : la météo de leur localité, les prix des produits qu’ils cultivent, relevés dans les villes voisines par un réseau de 200 personnes, et des conseils pratiques dans les domaines qu’ils souhaitent. Le tout pour 1 euro par mois.

« Quand un planteur de bananes, qui les vend 4 roupies le kilo, reçoit un message lui disant que dans un marché voisin le prix est monté à 7 roupies, il peut négocier à la hausse avec son acheteur », souligne Amit Mehra, le responsable de RML, qui vise plusieurs millions de clients d’ici trois ans. RML n’est que l’une des nombreuses expériences lancées un peu partout dans le pays par des opérateurs de télécoms, des fabricants de matériel, des banques, etc., pour montrer que la téléphonie mobile peut changer la vie dans les campagnes.

Dans le Kerala, sur la côte ouest du pays, une expérience menée auprès des pêcheurs vise à répondre à leurs trois besoins essentiels, explique Prakash Bagri, directeur marketing d’Intel : « attraper plus de poisson, obtenir les meilleurs prix, limiter les pertes de vie en mer ». Grâce au mobile, les pêcheurs peuvent s’échanger des renseignements sur les zones poissonneuses, accéder à un service d’information sur les prix dans les différents ports, être prévenus en cas de changement brutal de la météo... Selon une étude consacrée aux pêcheurs du Kerala citée dans le rapport de l’Icrier, « une utilisation importante des téléphones mobiles permet d’accroître l’efficacité des marchés en réduisant le risque et les incertitudes ».

Le déploiement de technologies 3G pourra encore élargir la gamme des services. Dans le Tamil Nadu, une expérience menée par Ericsson permet de tester, depuis 2007, de nombreuses applications. Des camions équipés pour recevoir la 3G, avec vidéophones, permettent aux villageois de consulter des médecins à distance, et des séances d’enseignement sont données par des professeurs en ville. Et des démarches administratives peuvent être effectuées sans se déplacer. « Cela a un impact considérable, affirme Jaijishan Rajaraman, directeur au sein du groupement GSMA, cela permet par exemple à un paysan pauvre d’éviter de perdre une journée de travail en déplacement pour faire enregistrer une naissance. »

P. DE J.

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