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Sultana, Kavita, Abdul et Cie, dans les bidonvilles du textile au Bangladesh

 

Thèmes: International

Article inédit, 17 mars 2014

BANGLADESH // Les ouvriers des grandes usines de confection de Dacca vivent dans des bidonvilles comme celui-ci. Le vie y est extrêmement dure mais un certain optimisme est souvent perceptible.

Voir les articles Le textile du Bangladesh, un an après le désastre, Le textile, un secteur clef pour le développement du Bangladesh, Le Bangladesh se fait sa place dans le club des émergents et les diaporamas Dans un bidonville des ouvriers du textile, Le textile, entre prospérité et catastrophes et Dacca, une capitale surpeuplée.

Patrick de Jacquelot
— A Dacca

Sultana n'attend qu'une chose: retravailler

Sultana, son frère Abdul et ses amis Mohamed et Osman, Kavita, tous ces jeunes gens vivent dans le bidonville (« slum ») de Tongi, au nord de Dacca, la capitale du Bangladesh. Sultana a seize ans, dit-elle, mais elle n’est pas tout à fait sûre.

La famille comprend quatre sœurs et trois frères mais plusieurs sont mariés si bien qu’ils sont cinq à vivre ensemble ici à Tongi. Leur mère est là mais leur père est mort. Ouvrier, il faisait des travaux de terrassement quand il a été victime d’une petite blessure à la jambe. Trois fois rien sauf que la blessure s’est infectée et qu’il en est mort. Aujourd’hui, la mère s’occupe de la maison et le seul membre de la famille à travailler est Abdul, le frère aîné.

 

Cinq personnes dans cette pièce en tôle ondulée

La famille vit dans un logement typique du slum où tous les bâtiments sont construits en tôle ondulée. Un long couloir obscur dessert des pièces sans fenêtres alignées de part et d’autre. Chaque pièce, d’une douzaine de mètres carrés, héberge une famille entière. Dans la « maison » de Sultana, la batterie de cuisine est soigneusement rangée. Des posters de bébés à la peau blanche ornent les parois, ainsi qu’une photo du père disparu. Deux objets « de luxe » sont visibles : une petite télévision et un ventilateur. Un troisième ne se voit pas : le téléphone portable de Sultana, dont elle dit : « je suis fière d’en avoir un quand je sors ! ».

A l'usine à dix ans

La jeune fille « ne travaille pas pour le moment », mais « prévoit de retravailler très bientôt ». Elle a l’habitude : elle a commencé à travailler en usine quand elle avait dix ans (il est illégal de faire travailler des mineurs ayant moins de dix-huit ans). Auparavant elle allait à l’école (« je peux lire et écrire un peu mais pas couramment », dit-elle), mais à la mort de son père il lui a fallu gagner sa vie.

Au mur, la photo du père décédé (au milieu)

A l’époque, se souvient-elle, « je gagnais 800 takas par mois » (8 euros environ). Si actuellement elle n’a pas d’emploi, c’est parce que depuis plusieurs mois elle est malade : « une crise de faiblesse, dit-elle, en six ans j’ai perdu beaucoup d’énergie ». Récemment elle a encore eu un accès de forte fièvre, mais ça ne va pas durer.

Et Sultana est totalement confiante dans la possibilité de retrouver un bon emploi. La jeune fille a en effet bien progressé pendant ses années d’activité professionnelle : de petite main, elle est devenue opératrice de machine à coudre. « Alors, pour trouver un travail, c’est facile parce que je suis qualifiée, explique-t-elle. Il suffit que j’aille à la porte d’une usine, ils me prendront ! ».

En attendant, c’est de son frère Abdul Rahim que dépend toute la famille. Abdul (au milieu sur la photo) a vingt-cinq ans. Lui aussi travaille depuis très longtemps. « J’ai commencé par conduire des rickshaws, puis j’ai travaillé dans la construction », raconte-t-il.

Mohamed Rasel Mia, Abdul Rahim, Osman
(Photo Jef Van Hecken)

Contremaître

En 2003, il est entré dans la confection, où il a changé plusieurs fois d’usine. Abdul se débrouille bien : il a été engagé comme contremaître par son employeur actuel. Il ne cache pas la fierté que lui inspire sa réussite professionnelle : « je peux superviser le travail de vingt-cinq machines qui font des tee-shirts, raconte-t-il, j’évalue le temps nécessaire, je répartis le travail, je vérifie s’il y a des retards… ».

Ce poste à responsabilité lui vaut un salaire de 10.000 takas (près de 100 euros), presque le double des 5.300 takas du salaire minimum dans le textile. Un « bon » salaire, donc, mais qui ne suffit pas à la famille. Le loyer de leur logement dans le slum coûte 3.000 takas et il doit « emprunter de temps en temps 1.000 ou 1.500 takas » pour boucler le mois. Mais bon, quand sa sœur retravaillera, les choses s’arrangeront…

Son ami Mohamed Rasel Mia (à gauche sur la photo) travaille lui aussi dans le textile, en tant qu’opérateur de machine à coudre. « Je fabrique des pantalons dans une usine, explique-t-il, dix heures par jour, six jours par semaine ». Le travail est « très dur » avec quarante à cinquante heures supplémentaires par mois mais celles-ci lui permettent d’augmenter fortement ses revenus : 6.500 takas pour le salaire de base, 9.500 avec les heures supplémentaires. Les premières années où il travaillait, il a pu économiser plein d’argent étant donné qu’il habitait dans sa famille « et ne dépensait rien du tout ». Il a donc « mis à la banque 50.000 takas » (près de 500 euros), une petite fortune. Bien lui en a pris : il a attrapé la tuberculose et a tout dépensé pour se soigner. Mohamed est marié et sa femme attend un bébé. Ses deux petits frères vont à l’école.

Osman, le troisième de la bande (à droite sur la photo), a vingt ans. Opérateur de machine à coudre lui aussi, il travaille depuis plus de quatre ans et gagne 6.800 takas par mois, 10.000 avec les heures supplémentaires. Tous trois racontent qu’après les six journées de travail hebdomadaires, leur jour de repos se passe à dormir, avec comme seul loisir une partie de cricket dans la matinée. Encore ont-ils le privilège d’être des hommes. Car les femmes ouvrières dans le textile assument en plus toutes les tâches ménagères en se levant à 4 heures du matin tous les jours. « Nos femmes travaillent dur », reconnaissent-ils…

Kavita ne sourit jamais

Trop jeune pour travailler

Dans le slum, les ouvriers et ouvrières des grandes usines textiles sont les mieux lotis. Pour ceux qui n’ont pas d’emploi dans ce secteur, la vie est beaucoup plus difficile. C'est le cas de Kavita, l’amie de Sultana, et de sa famille. Son père ne travaille pas car il a un problème cardiaque. Le seul revenu de la famille, six personnes en tout, est celui d’un frère qui travaille dans une baraque à thé au bord de la route. Son salaire : 1.000 takas par mois (moins de dix euros), à comparer avec les 1.600 takas du loyer de leur pièce. Résultat : « depuis deux mois, nous n’avons pas payé le loyer », explique la jeune fille.

Pas étonnant si tout ce qu’elle veut c’est « trouver du travail. Mais quand ils me voient (dans les usines), ils me disent que je suis trop jeune ». Kavita dit avoir quatorze ans et ne sourit jamais. Elle est allée à l’école quand elle était dans son village et dit savoir lire et écrire. Mais depuis quelques mois que la famille s’est installée à Dacca c’est fini : « ici, il faut de l’argent pour aller à l’école, nous n’en avons pas pour ça ».

 

 

La "maison" de Kavita: deux mois de loyer impayés

Un seul objectif: travailler

« Travailler et gagner de l’argent », c’est en fait la seule chose que Kavita et Sultana disent souhaiter de leur vie. Un mari ? « C’est à nos parents de nous en choisir un, répondent-elles en chœur, ils veulent en trouver dans notre village parce que nous voulons y retourner un jour ». « Si je travaille dans une usine et qu’un garçon m’aime bien, il ne se passera rien », tranche Sultana.

Pour les travailleurs non qualifiés du Bangladesh, les usines organisées du textile constituent bien la meilleure option. Rokeya Rafique, directrice générale de l’ONG Karmojibi Nari qui se consacre à l’émancipation des femmes évoque le cas d’une femme travaillant à domicile à coudre les boutons sur des blouses. Rémunération : deux takas par blouse. A raison de cinq blouses par heure, une semaine de cinquante heures lui rapporterait 500 takas, moins de 5 euros…

Le riz au tamis: quand on a moins que rien

Toujours pire...

Mais il y a pire encore : cette femme qui vit dans une masure faite de bric et de broc en lisière du bidonville. Loyer mensuel : 1.500 takas. Vivant seule, elle travaille comme femme de ménages dans deux maisons, ce qui lui rapporte en tout 1.500 takas justement. Comme il ne lui reste rien, elle se rend à un endroit où l’on charge des sacs de riz sur des camions. Elle ramasse la terre et la passe au tamis pour récupérer les grains de riz mangeables.

 

 

 

Marufa Rupa et Ummukulsum Snazdha

De gros problèmes de santé

« L’état de santé des habitants du bidonville est très médiocre, affirment Ummukulsum Snazdha, physiothérapeute (à droite sur la photo) et Marufa Rupa, pharmacienne, deux jeunes femmes dynamiques et décidées qui travaillent dans le centre de santé du slum tenu par l’ONG Gonoshasthaya Kendra, les gens souffrent de faiblesse, de malnutrition, de maladies liées à l’eau et de problèmes de drogues. Mais on ne voit jamais aucune autorité ici, on n’a personne à qui parler dans les administrations ».

 

 


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