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L'ASIE DESSINÉE

BD : odyssée thaïlandaise et enfants abandonnés en Chine


Thèmes: L'Asie en BD

Asialyst, 15 juin 2019

Découvrez la sélection mensuelle de « L’Asie dessinée » ! Le goût de la papaye raconte les aventures d’un jeune Thaïlandais dans l’Europe de la Seconde Guerre mondiale, tandis que Poisons traite des enfants chinois laissés derrière eux par leurs parents partis travailler en ville. Avec aussi un somptueux ouvrage consacré à Séoul, et la guerre d’Afghanistan vue par un médecin militaire français.

Patrick de Jacquelot

Les bandes dessinées consacrées à la Thaïlande étant bien rares, la parution du Goût de la papaye, odyssée d’un Thaïlandais dans une Europe en guerre* est bienvenue – même si, comme l’indique le sous-titre, une bonne moitié du livre se passe en Europe. Ce beau roman graphique est l’œuvre d’une dessinatrice italo-thaïlandaise, Elisa Macellari, qui y raconte la vie de son grand-oncle, Sompong. Une vie haute en couleurs…

Enfant dans les années 1920, Sompong vit auprès de son père, « shérif » dans la campagne thaïlandaise. Une vie de western incluant traversée du pays avec chevaux et chariot tiré par des buffles, et poursuite de moines ayant empoisonné des paysans en leur offrant une eau bénite impropre à la consommation.

Très tôt, le jeune Sompong n’a qu’une envie : apprendre les langues étrangères et voyager. Des objectifs qui ne collent pas avec les idées de son père qui veut absolument en faire un médecin. Pour contourner l’obstacle, le jeune homme s’engage dans l’armée, car celle-ci donne des bourses pour étudier à l’étranger. Un travail acharné permet à Sompong d’obtenir effectivement une de ces rares bourses, et le voilà qui décroche un poste à l’Académie militaire de Berlin. Seul petit problème : nous sommes en 1939 et la guerre éclate juste avant son départ pour l’Allemagne. « Il semblait bien qu’un certain Adolf Hitler était en train de bouleverser mes projets », déclare Sompong, pas encore familier avec la politique européenne – cela viendra.

Couverture de "Poisons", scénario et dessin de Golo Zhao, Pika Graphic (Copyright : Pika Graphic)

L’affectation en Allemagne étant annulée, les supérieurs du jeune militaire décident, avec une grande clairvoyance, de l’envoyer plutôt à Rome. Sompong, qui est encore en Thaïlande, abandonne donc l’étude de l’allemand pour se mettre illico à l’italien. Un long voyage en bateau plus tard, le voici qui débarque à Venise avant de se rendre à Rome, où il arrive pour entendre Mussolini annoncer l’entrée en guerre de l’Italie !

Dès lors, la vie de Sompong devient plus chaotique encore. Il est envoyé à Berlin pour faciliter le départ des ressortissants thaïlandais qui fuient le pays. Il arrive dans une ville bombardée et se retrouve dans une ambassade désertée. La guerre donne lieu à quelques scènes surréalistes. Sompong constate par exemple que la propriétaire allemande des locaux qui hébergent l’ambassade thaïlandaise, s’est « thaïlandisée » à tel point qu’à chaque alerte aérienne, elle va prier le bouddha avant de descendre dans l’abri.

En 1943, l’ambassade se replie à Vienne, où tout le personnel est arrêté par les Américains en 1945. Ce n’est qu’à ce moment-là, dit-il, que Sompong s’aperçoit que la Thaïlande s’est alliée avec le Japon, sous la contrainte, pendant la guerre. Les scènes surréalistes s’enchaînent, avec ces diplomates prisonniers de guerre trimballés de grand hôtel en château, tuant le temps avec des tournois de bridge. Sompong et ses collègues se trouvent finalement embarqués pour les États-Unis. Pendant toute la traversée, ils se demandent dans quel camp de prisonniers perdu dans les grandes plaines ils vont se retrouver, avant d’apprendre, à leur arrivée à Ellis Island, qu’ils sont libres ! Le jeune homme peut donc enfin rentrer chez lui, non sans ramener avec lui la fille de l’ambassadeur qui va devenir son épouse.

Cette odyssée est traitée sur un mode méditatif. Balloté par des événements qui lui sont complètement étrangers et auxquels il ne comprend pas grand-chose, Sompong exprime fréquemment son désarroi, ses interrogations sur les choix qui l’ont amené là où il se trouve. Son récit autobiographique est entrelacé avec l’arrivée à Bangkok en 1985 de sa petite-nièce, auteure de l’ouvrage, rencontre durant laquelle le désormais vieil homme lui raconte ses aventures. Un roman graphique sensible et original.

"Le goût de la papaye", couverture et page 25

C’est une situation dramatique dont on parle peu : plus de soixante millions d’enfants chinois de familles pauvres vivent dans les campagnes sans leurs parents partis travailler loin de là dans les grandes villes du pays. Ils habitent généralement chez leurs grands-parents qui s’occupent plus ou moins d’eux et, des années durant, ne voient que très rarement leurs parents. Une situation très difficile aux conséquences parfois dramatiques. L’auteur de BD Golo Zhao s’est inspiré d’un fait divers réel pour imaginer Poisons**, l’histoire de Lili Zhang, une petite fille perdue que la solitude et l’absence de tout repère poussent à commettre l’irréparable. La vie de la fillette dans son village, avec le sentiment de rejet absolu qu’elle ressent, sont évoqués dans la première moitié du livre, la deuxième étant consacrée à l’enquête policière qui suit son initiative tragique. Le succès de la BD doit évidemment beaucoup au contraste violent entre le visage angélique de Lili et les couleurs acidulées des dessins d’une part, et la violence de cette horrible histoire d’autre part. Le livre est judicieusement complété par un article très informatif sur « Les enfants abandonnés de la croissance chinoise », écrit par Patrick Saint-Paul, ancien correspondant en Chine du Figaro.

"Poisons", couverture et page 5

La collection Louis Vuitton Travel Book, qui commande aux plus grands illustrateurs mondiaux des livres consacrés aux grandes villes de la planète, publie un ouvrage consacré à Séoul***. C’est Icinori qui en est l’auteur, nom collectif adopté par le couple constitué de la Franco-Hispano-Japonaise Mayumi Otero et du Français Raphaël Urwiller. En quelque 120 dessins, ils proposent une vision de la capitale sud-coréenne éclatée en multiples fragments : façades d’immeubles, vastes paysages, véhicules, multiples aspects de la vie quotidienne… Très inventive, leur technique graphique va du relevé quasi architectural ou de l’inventaire obsessionnel d’objets en tous genres jusqu’à l’agrandissement de détails portés à l’abstraction. Le tout en utilisant des couleurs fortes à base de jaune et d’orange avec de puissantes touches de bleu. Extrêmement raffiné, comme il sied à cette collection, et assez fascinant.

"Séoul", couverture et page intérieure

La guerre en Afghanistan vue de l’intérieur : c’est le témoignage exceptionnel donné dans Au bord du monde, journal d’un médecin militaire en Afghanistan****. Adaptant sous forme de BD le livre Dix semaines à Kaboul écrit par Patrick Clervoy, ce récit donne à voir la guerre non pas du point de vue d’un combattant, certes, mais au plus près du terrain. Faisant partie du service de santé des armées en tant que psychiatre avec grade de général, Patrick Clervoy se rend en Afghanistan en juin 2011 pour exercer dans le cadre de l’hôpital installé par l’Otan à l’aéroport de Kaboul. Durant quelques semaines, il se trouve confronté à la mort omniprésente, la crainte permanente d’attaques terroristes, la tension qui ne retombe jamais. Les soldats sur le terrain doivent affronter des situations profondément déstabilisantes comme l’utilisation d’enfants par les Talibans, un accident de manipulation d’une arme qui tue un camarade, ou encore le nombre élevé de morts parmi les civils afghans causés par les tirs de l’Otan. Sans compter une angoisse constante vis-à-vis des familles restées en France.

Ce long roman graphique alterne descriptions d’opérations sur le terrain, soit vécues directement par Patrick Clervoy, soit racontées par certains de ses patients, et interrogations sur le bien-fondé de cette guerre et la façon dont elle est menée. Avec pour le médecin militaire, quelques certitudes inébranlables : son engagement, comme celui de ses camarades, consiste à « se mettre au service des autres, faire du dévouement la discipline de notre vie », et la guerre se justifie, en définitive, parce qu’elle permet à nos enfants « de dormir en sécurité ».

"Au bord du monde", couverture et page 8

Comme pas mal d’autres avant elles (voir Je ne suis pas d’ici, Je suis encore là-bas et Un pigeon à ParisLa ptite Lu ou encore Petite balade et grande muraille), l’artiste chinoise Siyu Cao se livre dans Débridée, le monde vu par mes yeux chinois*****, au petit jeu de la confrontation culturelle. Son livre est constitué de courts textes comparant les attitudes chinoises et françaises face à telle ou telle situation de la vie quotidienne, accompagnés de petites illustrations. Un ensemble agréable mais sans grande surprise.

"Débridée", couverture et page 35


* Le goût de la papaye, odyssée d’un Thaïlandais dans une Europe en guerre
Scénario et dessin d’Elisa Macellari
232 pages
Steinkis
20 euros

** Poisons
Scénario et dessin de Golo Zhao
144 pages
Pika Graphic
18 euros

*** Séoul
Dessin d’Icinori
160 pages
Louis Vuitton Travel Book
45 euros

**** Au bord du monde, journal d’un médecin militaire en Afghanistan
Scénario et dessin de Samuel Figuière
184 pages
Steinkis
20 euros

***** Débridée, le monde vu par mes yeux chinois
Scénario et dessin de Siyun Cao
140 pages
Equateurs
15 euros

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