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Energie : trois chantiers majeurs pour l’Inde

 

La Tribune, 26 novembre 2008

Pour assurer sa croissance, le sous-continent va devoir à la fois s’engager dans les économies d’énergie et développer le solaire et le nucléaire.


PAR PATRICK DE JACQUELOT,
à New Delhi

Les chiffres donnent le vertige : durant les vingt prochaines années, le pays devrait multiplier par six sa capacité de production d’électricité, pour la porter de 143 gigawatts actuellement à environ 800… C’est la rançon d’une croissance économique qui devrait évoluer autour de 7 à 8% par an sur la période.

Si la perspective d’un développement économique accéléré est une bonne nouvelle pour le pays et ses habitants, son corollaire énergétique pourrait être dramatique. L’India Economic Summit qui a rassemblé à New Delhi, la semaine dernière, l’élite du monde des affaires indien et international, à l’instigation du World Economic Forum de Davos et de l’organisation patronale indienne CII, s’est penché sur des chiffres effrayants. Situation actuelle : plus de 40% de la population n’a pas accès à l’électricité, environ 30% de l’énergie produite est perdue du fait de systèmes de transmission déficients… La production d’électricité repose beaucoup sur des centrales à charbon extrêmement polluantes, et le moyen habituel de remédier à un manque d’électricité est d’utiliser des générateurs fonctionnant au diesel et « terriblement polluants » eux aussi, comme l’a souligné le professeur Nicholas Stern, spécialiste de l’impact économique des changements climatiques.

Pour répondre à ce colossal défi, il n’y a pas trente-six solutions, selon Adil Zainulbhai, directeur général de McKinsey en Inde : « il faudra jouer sur toute la gamme, réduire la demande d’énergie avec des mesures d’efficacité énergétique ; développer le nucléaire ; développer les énergies renouvelables ; adopter des technologies de charbon ‘propre’ ».

Pour l’heure, la priorité est au nucléaire. L’Inde vient de signer des accords de coopération dans ce domaine avec les Etats-Unis et la France, et le nombre de ses centrales devrait doubler d’ici 2030. Les groupes nucléaires français, américains et russes, Areva en tête, se frottent les mains.

Solaire inexistant

On trouve parfois des panneaux solaires dans des endroits inattendus, comme sur le toit d'un monastère dans l'Himalaya, mais il y en a globalement fort peu

Mais dans le domaine des énergies renouvelables tout reste à faire. Question : sachant que le potentiel solaire de l’Inde est un des plus élevés au monde, du fait de son climat, quelle est la part actuelle de cette énergie dans la consommation du pays ? Réponse : 0,03%... Et pourtant, le solaire a toutes les qualités pour traiter certains des problèmes spécifiques de l’Inde. C’est une source d’énergie parfaitement adaptée pour les zones reculées, les villages situés loin des réseaux d’électricité. Pour leurs habitants, soit l’électricité est totalement absente avec les dramatiques pertes de productivité et de services de base que cela implique, soit elle est maigrement produite au diesel. « Le problème, dénonce avec véhémence Harish Hande, directeur général de Selco Solar Light, pionnier du solaire en Inde (voir ci-dessous), c’est que les autorités veulent des gros chiffres. Les besoins sont énormes, ils veulent des solutions énormes. D’où le nucléaire. Mais des centrales nucléaires, ça améliorera la desserte en électricité des citadins qui en ont déjà, mais ça n’apportera rien aux paysans qui en sont privés ! ».

Pour l’heure, le solaire est donc virtuellement inexistant en Inde – au point que les producteurs indiens de panneaux solaires, très actifs, exportent 80% de leur production, notamment vers des pays connus pour leur ensoleillement comme l’Allemagne… Le problème, ont souligné en chœur lors du Sommet plusieurs participants comme Adil Zainulbhai et Tejpreet Chopra, directeur général de GE India, c’est que le solaire n’est pas compétitif à l’heure actuelle – et d’autant moins que les prix du pétrole sont en chute libre.

Le potentiel est bien là, malgré tout. Dans son rapport « Powering India », McKinsey voit l’Inde devenir « un acteur global de l’énergie solaire ». Et Tulsi Tanti, PDG de Suzlon, l’un des grands groupes mondiaux de l’éolien, a annoncé lors du sommet l’intention de son groupe de se diversifier dans le solaire et « d’explorer des combinaisons » de cette technologie avec l’éolien. Finalement, si le développement du nucléaire viendra fort logiquement du sommet de l’Etat, c’est peut-être d’initiatives de la société civile, sur le terrain, que viendra celui du solaire, comme le montre l’exemple de Selco Solar.

Patrick de Jacquelot à New Delhi

Harish Hande fondateur et directeur général de Selco Solar Light

Des micropanneaux solaires pour les pauvres

Harish Hande, fondateur de Selco Solar Light (photo Wikipédia)

Le solaire, ça peut marcher en Inde, et surtout pour les plus pauvres : c’est ce qu’a martelé, face aux grands patrons de l’India Economic Summit quelque peu éberlués, Harish Hande, fondateur et directeur général de Selco Solar Light. Cette « entreprise sociale » installée dans le sud du pays a pour vocation de donner accès à l’électricité aux populations habituellement ignorées par les réseaux de distribution d’énergie, au fin fond des villages et des campagnes.

« Nous faisons du sur-mesure, explique Harish, en fonction des besoins de nos clients, qu’il s’agisse de paysans, de vendeurs des rues, de sages-femmes… ». Par exemple, « nous fabriquons un ensemble de panneau solaire et de batterie destiné à allumer une ampoule deux heures par jour, si c’est ce que l’on nous demande ». Un tel « micro-système » peut sembler dérisoire, mais ce n’est pas le cas : il permet à un artisan de prolonger de deux heures sa durée de travail, ou à des enfants de faire leur travail scolaire – et peut donc transformer la vie d’une famille. « Et bien entendu, ajoute l’entrepreneur, si le client revient nous voir au bout d’un an en demandant à connecter une deuxième ampoule, nous lui adaptons son installation ».

Mais proposer des dispositifs aussi microscopiques ne servirait à rien sans accompagnement financier. Car les clients de Selco ne disposent pas des 7.000 roupies (110 euros) que coûte un tel système, il faut leur proposer un financement adapté. « Il nous a fallu trois ans pour convaincre une banque de travailler avec nous, raconte Harish, mais maintenant nous avons neuf établissements partenaires ». Et l’expérience a montré, affirme-t-il, que le « package » comprenant un matériel adapté exactement aux besoins et un financement approprié remporte un grand succès.

Selco Solar Light dispose aujourd’hui de vingt-cinq bureaux dans les campagnes du sud et sert 110.000 clients. Dans une logique de service de proximité, la société ne vend qu’à des acheteurs situés dans un rayon accessible à moto par le technicien dans un délai raisonnable. Et Selco, qui est financé par des « investisseurs sociaux », dont de riches hommes d’affaires occidentaux, est bénéficiaire, avec une marge nette de l’ordre de 5%, selon son fondateur.

La profession de foi d’Harish Hande et sa fougue ont en tout cas impressionné les participants du Sommet, tant ce militant de la cause du développement durable et des plus pauvres tranchait avec les hommes d’affaires en costume anthracite qui constituaient le gros de l’assistance.

P. de J.

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