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La folie Bollywood débarque en France

 

Thèmes: Culture - Société

La Tribune, 17 janvier 2009

Un univers qui enchante 1 milliard d’Indiens

Romances à l’eau de rose, danses endiablées, explosion de couleurs : Bollywood est l’invité d’honneur du Salon du cinéma à Paris ce week-end. Au-delà du folklore kitsch, les films indiens (3,25 milliards d’entrées en 2007 !) exercent une attraction sans équivalent sur les populations du sous-continent et commencent à influencer les cinéastes occidentaux.

DIFFICILE DE SE REPRÉSENTER LA PLACE QUE TIENT LE CINÉMA de Bombay et autres régions dans la vie des Indiens. Pour preuve, il s’est vendu 3,25 milliards de billets en Inde en 2007, tandis qu’un millier de films — bien plus qu’aux États-Unis — ont été produits. À Bombay, d’abord, baptisé « Bollywood » (contraction de Bombay et de Hollywood), son industrie du cinéma, dont la réputation a franchi les frontières. Mais aussi dans d’autres régions, comme le Tamil Nadu, l’Andhra Pradesh ou le Bengale... Le cinéma fascine les Indiens, toutes classes sociales et religions confondues. À tel point que ses stars sont considérées là-bas comme des demi-dieux. On raconte que, à l’image du pape, Amitabh Bachchan salue les foules de son balcon une fois par semaine. Les acteurs sont tout à la fois animateurs d’émissions de télévision et « ambassadeurs » d’innombrables marques commerciales. Le cinéma phagocyte l’ensemble de la culture populaire : l’essentiel de la musique de variétés est constitué par... la musique des films.

Comédie, romance et danse

Cet engouement pour des films qui, aux yeux de certains Occidentaux, sont interminables (trois heures au minimum), absurdes, kitschissimes, et où les héros s’arrêtent toutes les vingt minutes en pleine action pour se mettre à danser en faisant semblant de chanter, est désormais assumé par les milieux les plus cultivés. « Quand j’étais étudiant, je n’osais pas dire que j’aimais les films indiens, çà ne faisait pas sérieux », confie Luke, éditeur d’un magazine spécialisé dans l’éducation. « Mais maintenant je n’ai plus honte du tout », ajoute ce cinéphile, qui apprécie tout autant le cinéma japonais ou les films d’art et d’essai allemands.

Car le cinéma indien a ceci d’attachant qu’il cherche à satisfaire tous les goûts : une pincée de comédie, une pointe d’action, un doigt de romance, le tout mélangé à des scènes dansées et chantées. « Nous sommes une civilisation de l’image et nous adorons les histoires, explique Manu Rewal, cinéaste indépendant (une rareté ici). D’où, peut-être, le succès des premiers films, qui étaient d’ailleurs des histoires mythologiques. » Mais il n’a pas toujours été aussi fleur bleue. Dans les années 1950, souligne-t-il, les films de Bollywood avaient un contenu très « social ». C’est seulement dans les années 1990, « avec l’arrivée des chaînes de télévision par satellite, qui se sont appuyées sur le cinéma, que la musique de film est devenue la musique de danse de tout le pays et que le culte des stars est devenu ce qu’il est », se souvient Nasreen Kabir, spécialiste du cinéma indien.

Plus profondément, les années 1990 ont été celles de l’ouverture économique. « Le cinéma est alors devenu hédoniste, montrant toutes les bonnes choses de la vie. Les pauvres ont adoré, espérant les avoir un jour, les classes moyennes aussi, découvrant tout ce qu’elles n’avaient pas encore », analyse Pavan Varma, directeur général du Conseil indien des relations culturelles et auteur de nombreux ouvrages sur la société indienne. Pour lui, pas de doute : « Le cinéma répond désormais aux aspirations de richesse et de bien-être matériel des Indiens. »

La passion du cinéma affecte toute l'Inde: ici, le Tamil Nadu, dans le sud

Ce faisant, les films de Bollywood, qui se concentrent souvent sur les problèmes familiaux et sentimentaux de héros incroyablement fortunés, sont totalement irréalistes. Ce qui suscite les critiques de leurs détracteurs. Peut-être, répond Shohini Ghosh, spécialiste des médias à l’AJK Mass Communication Research Centre de Delhi, « mais la force de notre cinéma, c’est qu’il traite de la réalité intérieure des Indiens, de leurs aspirations, de leurs rêves. La réalité, c’est aussi ce qu’il y a dans la tête des gens ! ». Ce que le cinéphile Luke traduit à sa façon : « Quand on entre au cinéma, il faut laisser tout sens commun derrière soi et en profiter. »

Facteur de cohésion nationale

Sans doute parce qu’il est ancré dans la « réalité intérieure » des Indiens, le cinéma constitue une puissante protection de leur culture contre l’uniformisation culturelle. Signe qui ne trompe pas : il n’y a pas d’autre pays au monde où le cinéma américain détienne une part de marché inférieure à 5 %... Et Pavan Varma va jusqu’à faire figurer les films indiens parmi les facteurs de cohésion de cet immense pays aux composantes si variées : « Partout, estime-t-il, les gens voient les mêmes films, écoutent les mêmes chansons, retiennent les mêmes dialogues : ce sont des éléments de l’intégration nationale en cours dans le pays. »

Il n’empêche. Le vrai visage de l’Inde émerge aussi d’autres approches cinématographiques. Ces dernières années, un cinéma international combinant approche « occidentale » et contenu indien est apparu. Ainsi des films de Deepa Mehta, cinéaste canadienne d’origine indienne, connue notamment pour le magnifique « Water », qui évoque la vie des veuves en Inde. Ou encore avec le tout nouveau « Slumdog Millionnaire », sorti en France cette semaine. Réalisé par le Britannique Danny Boyle (« Petits meurtres entre amis », « Trainspotting »...), le film a été entièrement tourné en Inde, notamment dans les bidonvilles de Bombay, avec des équipes indiennes. Adaptant un très remarquable roman de Vikas Swarup, traduit en français sous le titre « Les fabuleuses aventures d’un Indien malchanceux qui devint milliardaire »*, il raconte l’histoire d’un jeune Indien enfant des rues qui, défiant toutes les probabilités, gagne au jeu télévisé « Qui veut gagner des millions ? ». Le récit des circonstances qui l’ont amené à connaître la réponse aux questions posées durant le jeu constitue une plongée dans l’Inde contemporaine. Sorti fin 2008 aux États-Unis, le film vient de rafler quatre Golden Globes. L’influence indienne sur le cinéma international commence tout juste à se faire sentir.

PATRICK DE JACQUELOT, À NEW DELHI

* Editions 10/18.


Chez nous, le sari kitsch ne remplit pas les salles

La France est-elle prête à succomber aux charmes de Bollywood ? Depuis quelques années, la musique et les paillettes du cinéma indien nourrissent l’inspiration des créateurs de mode et les conversations de salon. Mais combien de personnes regardent-elles vraiment ce cinéma ? Les avis sont partagés. Sa popularité augmente « et touche tous les âges », affirme Martine Armand, spécialiste du cinéma indien et responsable de la programmation du Salon du cinéma, qui attribue ce phénomène au « besoin de rêver, de s’évader, de rire aussi ». Vincent Paul-Boncour, patron de Bodega, principal distributeur de films indiens en France, se veut prudent : « Le cercle des fans s’agrandit mais reste limité pour les sorties en salles, constate-t-il. Les DVD semblent plus adaptés ». Quant à Nasreen Kabir, spécialiste londonienne de Bollywood, elle est carrément pessimiste : le succès des films indiens en Europe est en fait très limité, estime-t-elle, « leur popularité en Allemagne vient de la population turque » qui les connaît de longue date, celle en France est confinée à l’immigration maghrébine et africaine pour les mêmes raisons. « Il n’y a pas 10.000 personnes d’origine européenne qui aiment Bollywood », déplore-t-elle. S’il ne fait aucun doute que l’on parle de plus en plus de Bollywood ces dernières années, il est bien possible que la popularité du cinéma indien en Europe et en France porte davantage sur son esthétique kitsch, qui fait fureur dans la mode et la décoration, que sur les films eux-mêmes.

P. DE J.

« Dieu » et sa famille en visite à Paris

Amitabh Bachchan est omniprésent...

C’EST UN DIEU VIVANT QUI EST L’INVITÉ D’HONNEUR du Salon du cinéma. Amitabh Bachchan, qui vient entouré de sa famille, domine le cinéma indien depuis quarante ans. Âgé aujourd’hui de 66 ans, l’acteur a une carrière exceptionnelle. Il s’est imposé dans les films de Bollywood dès les années 1970 avec des rôles de redresseur de torts dans des films d’action. Mais, depuis le début des années 2000, il a fortement élargi sa palette. Capable de tout jouer, de la comédie romantique au film d’aventure en passant par des rôles nettement plus subtils, Amitabh Bachchan, omniprésent dans la publicité, les journaux et à la télévision, n’a jamais autant tourné : 10 à 15 films par an ! « Il n’y a jamais eu de plus grande star que lui », résume la spécialiste Nasreen Kabir. Sa popularité est en tout cas phénoménale. Et les dieux de la religion hindoue s’incarnant sous de multiples formes, ses fans les plus exaltés vont jusqu’à voir en lui un avatar de la divinité... Dans sa visite parisienne, il est accompagné de son épouse Jaya Bachchan, elle-même actrice réputée, de son fils Abhishek, étoile montante de la jeune génération, et surtout de l’épouse de ce dernier, la sublime Aishwarya Rai, la plus connue des quatre en Europe pour ses rôles dans des films comme « Devdas » ou ses présences régulières à Cannes.

P. DE J.

Le meilleur du cinéma indien en DVD

Notre sélection de films facilement disponibles, pour découvrir toutes les facettes du genre.

« La Famille indienne », ou le clan Bachchan dans toute sa splendeur
Amitabh Bachchan et son épouse dans le plus démesuré, le plus extravagant des grands Bollywood récents, avec les plus belles séquences de musique et de danse.

« Devdas ».
Histoire d’amour tragique adaptée d’un classique de la littérature indienne, avec Aishwarya Rai Bachchan et la mégastar Shahrukh Khan.

« Black ».
Amitabh Bachchan dans un de ses grands rôles récents, pour un film intimiste (ni chant ni danse !) sur l’ouverture au monde d’une jeune fille sourde, muette et aveugle.

BOLLYWOOD VERSION CLASSIQUE
« Mother India ».
C’est le film culte des années 1950, le plus grand succès de l’histoire du cinéma indien : l’histoire terrible de paysans misérables luttant contre le sort. L’antithèse des Bollywood actuels.

UN CLASSIQUE IMMORTEL
« Les Joueurs d’échecs ».
L’un des principaux chefs-d’œuvre de Satyajit Ray, qui demeure le plus grand réalisateur indien « classique », aux antipodes de Bollywood.

...dans les rues indiennes

UN FILM INDÉPENDANT
« Chai pani etc. ».
Œuvre du réalisateur Manu Rewal, ce film traite sur un mode léger de la bureaucratie et de la censure dans l’Inde contemporaine. Disponible sur www.chaipanietc.com

Lectures

Des livres référence. Entièrement consacré au monde du cinéma indien, « Show business » (Points), de l’écrivain et diplomate Shashi Tharoor, brosse le portrait d’une mégastar qui ressemble beaucoup à Amitabh Bachchan et décrit de façon hilarante le fonctionnement de l’industrie. Au chapitre des livres incontournables, signalons aussi le très bel album « la Saga de Bollywood : le cinéma indien » (Charles Moreau).

Romans de Bombay. Deux grands livres consacrés récemment à Bombay sont riches d’enseignements sur Bollywood. L’implacable thriller « le Seigneur de Bombay » (Robert Laffont) de Vikram Chandra évoque notamment la face obscure de ce cinéma : le rôle des mafias dans son financement. Et le formidable livre-reportage « Bombay Maximum City » (Buchet-Chastel) de Suketu Mehta consacre un très long chapitre à la description de l’intérieur de la machine Bollywood.

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