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L'Inde, l'autre grande soeur de l'Afrique

 

Les Echos, 23 mai 2011

Vingt ans après la Chine, l'Inde convoite les ressources énergétiques et minérales du continent noir. Ses grandes entreprises, elles, se pressent sur ce marché de plus de 1 milliard de consommateurs. Le deuxième sommet Afrique-Inde s'ouvre demain en Ethiopie.

 


A Chennai (ex-Madras), l'une des plus grandes agglomérations indiennes, sur la côte sud-est du pays, le bâtiment massif de l'Apollo Hospitals domine le centre-ville. Rien de plus normal : il s'agit du siège historique d'Apollo, l'un des plus importants groupes hospitaliers privés de l'Inde, et son vaisseau amiral de Chennai est réputé pour ses spécialistes de très haut niveau. A deux pas du bâtiment principal, une petite annexe abrite des salles bourrées d'un matériel high-tech qui n'a rien de médical : écrans multizones et connexions à très haut débit pour l'essentiel. Là, les meilleurs praticiens de l'Apollo viennent discuter avec des confrères : sur le mur d'écrans apparaissent côte à côte le médecin venu consulter le spécialiste de Chennai, l'image du patient, les éléments du dossier médical, etc. Avec une particularité : les malades et leurs médecins appellent depuis des hôpitaux situés au cœur de l'Afrique.

« Le continent africain atteint le stade de développement que nous avions il y a quelques années. Nous pouvons donc les aider, nous savons produire pour le bas de la pyramide. »
NADIR GODREJ, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE GODREJ CONSUMER PRODUCTS

Nous sommes dans l'un des centres du Pan-African e-Network, créé et financé par le gouvernement indien pour permettre aux hôpitaux et aux universités de 47 pays africains à ce jour d'avoir accès à l'expertise indienne dans leurs domaines. Une opération caractéristique de la diplomatie « soft » déployée par l'Inde en direction du continent africain : elle combine le meilleur du savoir-faire indien (compétences scientifiques et médicales, télécoms) avec les besoins réels des pays africains, tout en ayant le mérite de ne pas coûter trop cher...

Des voix pour l'ONU 


Cette antenne sur le toit de l'hôpital de Chennai permet d'établir le contact avec un réseau d'universités et d'hôpitaux africains

C'est peu de dire que l'Inde s'intéresse à l'Afrique. Ces 24 et 25 mai se tient à Addis-Abeba, capitale de l'Ethiopie et siège de l'Union africaine, un sommet Afrique-Inde, deuxième du nom après la première rencontre tenue à New Delhi en 2008. Outre le Premier ministre indien, Manmohan Singh, une quinzaine de chefs d'Etat et de gouvernement du continent noir sont attendus. Cette grand-messe s'ajoute à de nombreuses autres initiatives diplomatiques. Les dirigeants africains se succèdent à New Delhi, et la capitale indienne a hébergé fin mars un « conclave » Inde-Afrique tourné vers le business, avec plusieurs chefs de gouvernement et de nombreux ministres et hommes d'affaires venus de l'autre côté de l'océan Indien.

Cet activisme diplomatique accompagne une présence sans cesse croissante dans l'économie africaine. Contrats pétroliers et exploitations minières octroyés à des entreprises indiennes se multiplient, en un parallèle évident avec l'arrivée de la Chine en Afrique, voilà quinze ou vingt ans. Fondamentalement, note un diplomate occidental, « les raisons de l'intérêt pour l'Afrique des deux grandes puissances asiatiques émergentes sont les mêmes, avec en premier lieu leurs besoins stratégiques en énergie et en matières premières ». A cela s'ajoute pour l'Inde un motif particulier, plus politique : « Dans la stratégie de New Delhi pour devenir membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, le réservoir des voix africaines est essentiel. »

Cet intérêt indien trouve une oreille attentive chez ses interlocuteurs. L'Afrique a bien des atouts à offrir, relevait au « conclave » de mars dernier Aires Bonifacio Ali, Premier ministre du Mozambique : « Du gaz, du pétrole, des minerais, des matières premières, des terres arables. En sens inverse, l'Inde dispose de technologies innovantes adaptées aux pays émergents. » Constat similaire formulé par Sekou Sylla, secrétaire général de la Banque ouest-africaine de développement : « L'Afrique est confrontée aux problèmes de développement par lesquels les Indiens sont déjà passés, ils sont à même de comprendre nos besoins fondamentaux. »

« Les Chinois viennent prendre, sans faire de transfert de compétences. Quand la coopération indienne aura vraiment été mise en place, elle sera beaucoup plus pérenne et fructueuse. »
SEKOU SYLLA, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA BANQUE OUEST-AFRICAINE DE DÉVELOPPEMENT

Côté indien, le ministre du Commerce, Anand Sharma, souligne lui aussi les préoccupations communes des deux parties : « Besoin de croissance durable et inclusive, nécessité de nourrir la population, de combattre les pandémies, d'introduire une sécurité sanitaire, de mener à bien la révolution de la connaissance... » Autant de problèmes majeurs où l'Inde se poserait presque en modèle, alors même qu'elle est loin de les avoir résolus.

Sur le terrain, l'Inde monte en régime depuis quelques années, en s'appuyant d'abord, mais pas seulement, sur les zones où elle dispose d'une diaspora ancienne : 1,5 million d'Indiens installés en Afrique du Sud et dans l'est du continent. Les contrats pétroliers sont recherchés, comme ceux du géant public indien ONGC au Soudan. Selon le ministère des Affaires étrangères de New Delhi, la coopération avec ce dernier pays est d'ailleurs « un élément important de notre quête de sécurité énergétique ». Le pétrole représentait 63,5 % des 25,4 milliards de dollars d'importations indiennes en provenance d'Afrique en 2009-2010 (douze mois à fin mars), avec le Nigeria et l'Angola comme principaux fournisseurs. Charbon, minerai de fer, manganèse, les entreprises indiennes multiplient également les acquisitions dans les actifs miniers africains.

Tarifs bas et gros volumes

Toujours au chapitre des ressources naturelles, l'Inde a aussi entrepris d'investir dans les terres arables, avec environ 80 entreprises indiennes consacrant 2,3 milliards de dollars à l'agriculture commerciale dans des pays comme l'Ethiopie, le Kenya, Madagascar, le Sénégal et le Mozambique, selon une étude d'Ernst & Young. Le cas le plus étonnant est celui de Karuturi, une entreprise de Bangalore qui fait pousser des roses pour le marché européen dans 60 hectares de serres en Ethiopie (avec 200 hectares supplémentaires en construction) et 135 hectares de serres au Kenya. Le tout avec un tel succès que le groupe a pris en location longue durée... 311.000 hectares de terres agricoles en Ethiopie pour y cultiver riz, maïs et huile de palme.

Si l'Inde veut donc acheter en Afrique de l'énergie et des ressources naturelles, elle compte bien, en sens inverse, y vendre ses produits et ses services. Pour les grandes entreprises indiennes, le continent noir est un énorme marché à conquérir. En 2010, le leader indien des télécoms, Bharti Airtel, a signé l'une des plus grosses acquisitions « sud-sud » jamais réalisées en payant 7,8 milliards d'euros pour les actifs de l'opérateur télécoms koweïtien Zain dans 16 pays africains. Avec un objectif clair : passer en deux ans de 40 à 100 millions de clients africains en appliquant les recettes du groupe en Inde, tarifs bas et très gros volumes. Autre grand nom de l'industrie indienne, le groupe Tata est implanté dans 13 pays d'Afrique, pour des activités allant de l'énergie aux services informatiques. Le Sénégal a pu s'offrir 500 bus Tata Motors grâce à des crédits fournis par la banque publique indienne Exim Bank.

Le groupe de produits de grande consommation Godrej Consumer Products mise lui aussi sur l'Afrique. « Nous y avons fait plusieurs acquisitions, explique Nadir Godrej, son directeur général : Une entreprise de colorants pour cheveux en Afrique du Sud, une affaire de savons au Nigeria, etc. Maintenant, nous exportons nos colorants vers toute l'Afrique subsaharienne et nous allons commencer à exporter nos insecticides d'Inde vers toute l'Afrique. Ce continent représente désormais 10 % de nos ventes. » L'industrie indienne est particulièrement présente dans le secteur pharmaceutique. « L'Inde fournit une grande partie des médicaments génériques consommés par l'Afrique, et notamment les traitements contre le sida, la tuberculose et le paludisme », souligne un expert international.

Pourquoi un tel engouement de la part des groupes indiens, qui disposent déjà d'un colossal marché domestique loin d'être saturé ? Parce que, même si le marché indien est énorme, « nous avons besoin d'un autre territoire », explique Rajan Bharti Mittal, vice-PDG de Bharti Airtel. « Chaque marché est confronté à des cycles, renchérit Sanjay Kirloskar, il est bon de se diversifier. » Et le marché africain est prometteur, avec plus de 1 milliard d'habitants, une croissance de 6 % et une consommation en hausse de 16 % par an, selon Ernst & Young. Les Indiens estiment qu'ils disposent de produits et services bien adaptés à ses besoins : « Ce continent atteint le stade de développement que nous avions il y a quelques années, note Nadir Godrej, nous pouvons donc les aider, nous savons produire pour le bas de la pyramide. » Le potentiel des échanges, encore modeste, semble donc considérable. De 45 milliards de dollars aujourd'hui ils devraient passer à 70 milliards en 2015, prévoit Anand Sharma.

Ce rôle moteur joué par les entreprises privées indiennes dans le développement des relations distingue d'ailleurs l'Inde de la Chine, dont l'approche est beaucoup plus étatique : « Bharti Airtel et Reliance peuvent faire beaucoup plus que le ministère des Affaires étrangères pour faire pénétrer les compétences indiennes en Afrique ! », note l'économiste franco-indien Basudeb Chaudhuri.

Il n'empêche que l'Inde demeure loin derrière l'éternel rival chinois sur le continent africain. Quand la Chine construit des autoroutes en échange de contrats d'approvisionnement pétrolier, l'Inde n'a pas les moyens de suivre et préfère se rabattre sur son Pan-African e-Network, l'octroi de 20.000 bourses en Inde à des étudiants africains ou la création de centres de formation professionnelle en Afrique. Selon des chiffres compilés par JP Morgan Cazenove, la Chine a investi 2,5 milliards de dollars par an en Afrique sur la période 2006-2008, pendant que l'Inde investissait... 332 millions par an.

C'est vrai, souligne Sekou Sylla, la présence de l'Inde demeure encore faible, et « les Chinois sont beaucoup plus percutants. Mais ces derniers viennent prendre, sans faire de transfert de compétences. Quand la coopération indienne aura vraiment été mise en place, elle sera beaucoup plus pérenne et fructueuse ».

PATRICK DE JACQUELOT, À NEW DELHI

Repères

Population de l’Afrique
2010 : 1 milliard d’habitants.
2025 : 1,4 milliard d’habitants.
2050 : 2,1 milliards d’habitants.
Dépenses de consommation
2008 : 860 milliards de dollars.
2020 : 1.400 milliards de dollars.
Investissements directs en Afrique en 2006-2008
Chine : 2.528 millions de dollars par an.
Inde : 332 millions de dollars par an.
Principales exportations d’Afrique vers l’Inde (2009-2010)
Produits pétroliers : 63,5 %.
Or : 13,1%.
Charbon : 5,1 %.
Principales exportations d’Inde vers l’Afrique (2009-2010)
Produits pétroliers : 21,1 %.
Produits pharmaceutiques et chimie fine : 11,1 %.
Machines et instruments : 10,8 %.
Sources : Ernst & Young, Etude CII-Exim Bank, JPMorgan Cazenove.

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