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L'Inde rêve de trains à grande vitesse


Les Echos, 9 novembre 2011

Le pays, où les trains roulent à des vitesses dérisoires, a mis à l'étude un programme de TGV, ainsi que des « corridors de fret ». Une œuvre de longue haleine.

L'Inde ne risque pas de connaître comme la Chine, des accidents de TGV faisant des dizaines de morts suite à une construction trop rapide des lignes. Et pour cause: l'Inde ne dispose pas du moindre train à grande vitesse. Et, si le pays veut effectivement s'équiper de TGV comme son grand voisin du nord, il a l'intention d'y aller... doucement.

Selon le plan stratégique du gouvernement indien « Indian Railway, Vision 2020 », publié fin 2009, l'Inde doit disposer d' « au moins quatre lignes ferroviaires à grande vitesse sur lesquelles des trains rouleront entre 250 et 350 km/h d'ici à 2020 ». Au rythme où vont les choses, cet objectif paraît d'ores et déjà compromis.

Or, si le pays dispose d'un réseau considérable, celui-ci est vétuste (lire ci-dessous). Résultat, souligne un expert, « la vitesse moyenne des trains est de 50 à 60 km/h, avec une vitesse maximale de 160 km/h sur quelques tronçons ». Du coup, l'introduction de la grande vitesse pose de nombreux problèmes, qu'il s'agisse des technologies à employer, de la détermination des tracés, des achats de terrains, etc.

La compagnie nationale Indian Railway est en train de créer la structure dédiée qui sera chargée de mener à bien les projets des six lignes envisagées. Et, à ce stade, une seule a fait l'objet d'une étude complète, réalisée par le cabinet d'ingénierie Systra, filiale de la SNCF et de la RATP. Il s'agit de la ligne Pune-Bombay-Ahmedabad, devant relier deux grandes villes industrielles à chaque extrémité du pays et la capitale financière au milieu.

Une proposition audacieuse 


Un réseau considérable mais vétuste

D'une longueur totale de 640 kilomètres, la ligne permettrait des gains de temps spectaculaires. « Le trajet en train Bombay-Ahmedabad passerait de 6 h 45 aujourd'hui à 1 h 52, et celui entre Bombay et Pune de 3 h 07 à 40 minutes », explique Jean-Charles Vollery, patron de Systra en Inde.

Mais pour obtenir un tel résultat, il faudra, entre autres, construire 72 km de viaducs et creuser un tunnel de 18 km. Quant à l'entrée dans Bombay, vu la densité urbaine de la mégapole, elle devra se faire par la mer via un pont de 18 km. Afin de faciliter la pénétration dans les villes et permettre une construction par phase, Systra a fait une proposition audacieuse : construire un matériel roulant sur mesure selon les normes indiennes d'écartement des voies, plus larges que les normes internationales.

« Il faut s'adapter à l'Inde, pas l'inverse, argumente Jean-Charles Vollery. Les producteurs de matériel ont tous dit que c'était possible, avec un surcoût pas insurmontable. » D'autres experts se demandent néanmoins si les fabricants de matériel « ne bluffent pas ». Car, estiment-ils, faire rouler des TGV sur des lignes traditionnelles s'avérerait « très compliqué ». Le budget de cette première ligne de TGV, à financer en partenariat public-privé, a été évalué à plus de 7 milliards d'euros, plus 1 milliard pour le matériel roulant. Les autorités indiennes doivent se prononcer, dans des délais imprévisibles.

L'autre grand projet de modernisation dans le ferroviaire indien concerne le fret : il s'agit de la construction de deux corridors réservés, l'un reliant Delhi à Bombay (1.483 km) et l'autre Delhi à Calcutta (1.843 km). Comportant des lignes dédiées électrifiées, ces projets s'accompagnent du développement de parcs logistiques, de zones industrielles et, dans le cas de la ligne Delhi-Bombay, de la construction d'une vingtaine de villes nouvelles. Les premiers coups de pioche ont été donnés sur certains tronçons de ces projets pharaoniques. « Pour une fois, il y a une vision à long terme, salue Alain Raban, patron pour l'Inde du fabricant d'aiguillages Vossloh Cogifer, mais cela prendra peut-être vingt ou trente ans. »

PATRICK DE JACQUELOT,
CORRESPONDANT À NEW DELHI

Un réseau ferroviaire de 60.000 kilomètres mais vétuste

Profondément ancrés dans la société, les chemins de fer indiens n'ont pas su faire évoluer leurs technologies.

Le matériel roulant aussi est à remplacer

Chaque année, la session budgétaire du Parlement commence par la présentation non pas d'un mais de deux budgets pour l'exercice à venir. Le premier jour, le ministre des Chemins de fer présente celui de son organisation. Le deuxième jour, le ministre des Finances détaille le budget général du pays. Autant dire que les chemins de fer indiens constituent un Etat dans l'Etat...

1,4 million de salariés sont employés par la compagnie nationale Indian Railway.

Avec la langue anglaise et le cricket, le train fait partie des principaux legs laissés à l'Inde par les Britanniques. La compagnie nationale Indian Railway gère plus de 60.000 kilomètres de lignes, le quatrième réseau de la planète, et emploie près de 1,4 million de salariés, ce qui en fait l'un des plus gros employeurs au monde. Le train occupe une place essentielle dans la psychologie des Indiens : les voyages de 24 ou 48 heures dans des wagons bondés font partie du mode de vie et il n'y a guère de film de Bollywood qui ne comporte de séquence tournée dans une gare ou un train ! Mais les choses changent : depuis l'avènement des compagnies low-cost, les classes moyennes se ruent sur le transport aérien.

Freiné par la bureaucratie 


Si l'empire vacille, c'est parce qu'il n'a pas su évoluer. Electrification partielle, extrême lenteur du trafic, nombreux accidents, le réseau « est dans un triste état général », confie un expert occidental. Le chantier de modernisation de l'existant est phénoménal. Mais la structure politique et administrative qui chapeaute les chemins de fer n'est guère à la hauteur. Le prestige qui s'attache aux chemins de fer fait que le ministère est un poste de premier plan, souvent attribué au chef d'un parti allié au parti dominant dans la coalition qui gouverne à Delhi. De 2009 au printemps dernier, par exemple, la ministre des Chemins de fer Mamata Banerjee, leader politique du Bengale occidentale, n'avait pris ce poste que pour préparer les élections dans son Etat.

Le problème est aggravé par la bureaucratie qui, au ministère des Chemins de fer et chez Indian Railway, préside aux destinées des trains indiens. Une bureaucratie « rétrograde et fermée aux innovations technologiques », estiment en chœur les experts occidentaux. « Leur gros problème, explique Alain Raban, patron pour l'Inde du fabricant franco-allemand d'aiguillages Vossloh Cogifer (avec trois usines dans le pays), c'est d'accepter d'importer des technologies et de les payer. » La modernisation et le développement des chemins de fer en Inde, « on y croit toujours, il n'y a pas d'ambiguïté, conclut-il, la question c'est de savoir quand ».

P. DE J.

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