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Comment l'Inde veut construire 20 km d'autoroutes par jour

 

Les Echos, 12 avril 2012

Les immenses ambitions du pays se heurtent à une mise en place chaotique. Mais, peu à peu, les acteurs locaux, qui cassent les prix pour obtenir les concessions, se trouvent confrontés à des problèmes de financement. Une porte ouverte pour les étrangers.

 

C'est le chiffre magique : l'Inde répète qu'elle va construire « 20 km d'autoroutes par jour ». Correspondant à 7.000 km par an, cet objectif fait rêver bien des entreprises indiennes et étrangères. « C'est simple, l'Inde met en concession chaque année plus d'autoroutes que tout le reste de la planète », explique Patrick Viellard, directeur général d'Egis Infra Management India, De fait, renchérit Rajesh Samson, spécialiste du secteur chez Ernst & Young, « le programme indien de partenariats public-privé (PPP) dans les autoroutes est le plus gros du monde ».

Les besoins sont gigantesques. L'Inde dispose du troisième réseau routier de la planète derrière les Etats-Unis et la Chine, mais ses routes sont souvent étroites et défoncées. Quant au réseau d'autoroutes, il est largement sous-développé. Selon Ernst & Young, sur les 70.000 km du réseau national, 16.500 km sont à au moins deux fois deux voies, 13.000 km sont en cours de mise aux normes autoroutières et 20.000 km restent à traiter. A cela s'ajoutent les projets d'autoroutes qui dépendent des Etats. Au total, estime-t-on chez Egis, le potentiel sur dix ans est de 120.000 km. Le plan quinquennal 2012-2017 prévoit d'investir 241 milliards de dollars dans le réseau routier !

Et ce vaste programme se fait entièrement par le biais de PPP, dans un cadre réglementaire bien rôdé, selon Rajesh Samson, qui précise cependant : « Nous avons un très bon dispositif en place... sur le papier. Dans la réalité, c'est le chaos ! » Car les autoroutes indiennes réservent quelques surprises. « Ici, raconte un professionnel étranger, les autoroutes à deux fois trois voies passent au milieu des villages. Les charrettes roulent sur l'autoroute, les camions s'y garent, on se retrouve avec deux fois une voie pour rouler vraiment. Du coup, il faut de cinq à six jours pour couvrir les 1.200 km entre Delhi et Bombay. »

« Des offres à des prix incroyables »

Le pont autoroutier de Bombay pendant sa construction

Le chaos routier se retrouve dans une certaine mesure dans les procédures : les appels d'offres lancés par la National Highways Authority of India (NHAI), l'agence publique chargée du secteur, sont victimes de leur succès. « Il y a plein de groupes de BTP ici, ils voient tous les autoroutes comme une énorme opportunité, explique le spécialiste d'Ernst & Young. Si bien que, pour chaque contrat, il y a 25 candidats. Et ils font des offres à des prix incroyables, insoutenables. » Alors que normalement les candidats demandent de l'argent aux autorités pour construire puis opérer une autoroute, le vainqueur étant celui qui demande le moins, le processus s'est inversé en Inde : désormais, dans une majorité de projets le partenaire privé finance l'intégralité de la construction et paye en plus une redevance annuelle à NHAI, en comptant se rembourser sur l'exploitation de l'autoroute pendant vingt-cinq ans. Et c'est celui qui offre le plus qui gagne. « Les candidats font des offres basées sur des prévisions de croissance économique de 10 % par an et des projections de trafic complètement irréalistes », souligne un expert. Au bout du compte, un nombre croissant de projets peinent à se financer.

Une fois, le projet bouclé, la construction de l'autoroute n'est pas non plus une partie de plaisir. Problème majeur comme souvent ici : l'achat des terres. « En théorie, le gouvernement est censé fournir les terrains, explique Rajesh Samson, mais ça ne se passe jamais comme ça : on construit un bout d'autoroute sans avoir les terres pour le tronçon suivant. » « Les projets prennent trois ou quatre ans de retard pour ces problèmes de terres, confirme un professionnel, quatre ans d'intérêts en plus et de péages en moins, ça dévaste un modèle financier. » Quand le gouvernement n'a pas tenu ses engagements, les concessionnaires ont droit à des dédommagements, mais les demandes traînent longtemps devant les tribunaux.

NHAI, c'est vrai, a sensiblement accéléré les attributions de projets. Pour l'année fiscale à fin mars 2012, l'agence a octroyé 6.600 km de projets autoroutiers, soit 18 km par jour, contre 5.085 km l'année précédente. Mais la construction effective a au contraire ralenti, passant en un an de 2.920 à 2.100 km. Sur les trois dernières années, il s'est construit 7 km par jour, un tiers de l'objectif. Les spécialistes s'attendent désormais à un assainissement brutal du marché. Déjà certains opérateurs cherchent à revendre leurs concessions, parfois à prix cassés. « Si les acteurs domestiques sont confrontés à un "cash crunch" et doivent se consolider, estime Rajesh Samson, ce pourrait être le bon moment pour les groupes étrangers pour venir sur le marché. »

PATRICK DE JACQUELOT,
CORRESPONDANT À NEW DELHI

Face à des groupes locaux très agressifs, les Français se placent

D'Egis dans l'exploitation jusqu'à Vinci dans la concession, les professionnels français de la route convoitent une part du gigantesque marché indien.

Le péage de Gurgaon et ses embouteillages

 

L'automobiliste qui se rend de Delhi à Gurgaon, le quartier des affaires au sud de Delhi qui est un peu l'équivalent de la Défense à Paris, peut se distraire, en arrivant à la barrière de péage qui marque la fin de l'autoroute urbaine, en lisant l'énorme panneau qui liste les 14 catégories de dignitaires exonérés de péage. Il a généralement le temps d'explorer ainsi les structures de la classe politique et administrative indienne puisque cette gare de péage est l'objet d'embouteillages légendaires : ses 36 voies ne suffisent pas à absorber le flot des 200.000 véhicules qui y passent chaque jour.

 

« Sur chaque projet, il y a au moins deux candidats casse-cou qui veulent absolument remporter l’affaire. Mais être casse-cou, ce n’est pas notre vocation. »
FRANCK THÉVENIN, RESPONSABLE DE VINCI CONSTRUCTION GRANDS PROJETS EN INDE

Cette autoroute Delhi-Gurgaon, la plus active du pays, constitue l'élément le plus visible de la présence française dans le secteur autoroutier indien. Son exploitation est assurée par une filiale d'Egis, société d'ingénierie de la Caisse des Dépôts. Le groupe français a repris cette activité en 2010 pour le compte de DSC, le groupe indien concessionnaire. Gérer ce petit bout d'autoroute n'est pas de tout repos. La liste des dignitaires exonérés peut sembler anecdotique mais ne l'est pas tout à fait : les identifier correctement est un problème délicat et « le total des exemptions porte sur 5 % du trafic », souligne Patrick Viellard, directeur général d'Egis Infra Management India, la structure dédiée au projet. Autre exemple de complexité administrative : le prix du péage ayant été fixé à 21 roupies et les propositions de pratiquer un arrondi n'ayant pas été retenues, l'exploitant a dû stocker 160 tonnes de pièces pour rendre la monnaie...

De grandes ambitions

Delhi-Gurgaon permet en tout cas à Egis de mettre en valeur son savoir-faire, tout en apprenant le marché indien. Le groupe se veut ambitieux dans ce pays où il emploie déjà 2.700 personnes sur un effectif mondial de 12.000. Outre l'exploitation autoroutière, le groupe est aussi actif dans l'ingénierie (rail, eau, etc.) avec là encore une grosse présence dans les autoroutes. « Nous sommes dans le top 3 des consultants sur le marché des routes », avec 800 personnes employées dans ce domaine, confie Geoffrey Guilly, directeur financier d'Egis India. Dans le même domaine, Systra, filiale de la RATP et de la SNCF, travaille dans l'ingénierie autoroutière « là où il y a des projets à forte valeur ajoutée », comme un pont autoroutier à Bombay par exemple, explique Jean-Charles Vollery, directeur général de Systra India.

Arrivé en Inde il y a deux ans, Vinci a de grandes ambitions dans un domaine différent : la concession autoroutière. Vinci Concession a déjà répondu à trois appels d'offres avec son partenaire indien HCC pour assurer la construction puis l'exploitation d'autoroutes. Sans succès à ce jour. Sur chaque projet, « il y a au moins deux candidats casse-cou qui veulent absolument remporter l'affaire. Mais être casse-cou, ce n'est pas notre vocation », explique Franck Thévenin, responsable de Vinci Construction Grands Projets en Inde. Le groupe se veut malgré tout optimiste. Afin de mieux séduire, il a entrepris de s' « indianiser » en achetant une entreprise de construction de routes du Tamil Nadu dans le sud du pays.

P. DE J.

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