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François Hollande en Inde  : chaos urbain, langue anglaise et séduction

Thèmes: France-Inde

Les Echos, 16 février 2013 (paru sur le Web)

C'est forcément compliqué, un voyage présidentiel, surtout quand on fait entrer trois jours de programme dans deux. Et au fait, à quoi sert un tel cirque diplomatico-médiatique ?

Patrick de Jacquelot
— Envoyé spécial à Bombay

C'est forcément compliqué, un voyage présidentiel, surtout quand on fait entrer trois jours de programme dans deux. Et au fait, à quoi sert un tel cirque diplomatico-médiatique ?

Finalement, c'était plutôt une bonne idée de faire traverser toute l'agglomération de Bombay au cortège de cars de la délégation française vendredi en milieu d'après-midi à la fin de la visite d'Etat en Inde du président français. Pendant les deux heures nécessaires pour faire les quelques dizaines de kilomètres qui séparent l'aéroport de l'hôtel Taj où François Hollande devait s'adresser à la communauté des affaires, les dizaines de patrons français ont pu contempler à loisir les réalités de la capitale financière du pays: bidonvilles en plein centre, canaux cloaques à l'air libre, rues totalement congestionnées... « Ca ne s'améliore pas, ce n'est pas comme la Chine », a lâché un visiteur intermittent, tandis que les téléphones portables capturaient les bidonvilles les plus pittoresques.

Pas mal pour un voyage durant lequel le président de la République a maintes fois offert les services de la France pour développer les infrastructures urbaines de l'Inde. Cela dit, quand François Hollande a lancé un peu plus tard devant les chefs d'entreprises indiens que « il suffit de faire le trajet de l'aéroport pour comprendre la vitesse à laquelle vous vous développez », certains membres de la délégation ont eu un instant de doute: le président se permettrait-il de pratiquer le sarcasme envers ses hôtes indiens? Mais non, ce mauvais esprit n'était pas justifié, le chef de l'Etat n'ayant pas été exposé aux affres de la circulation à Bombay: arrivé avant le gros de la délégation, il avait traversé la ville sans heurts, dans des rues dégagées par la police - contribuant ainsi d'ailleurs à la formation ultérieure des embouteillages...

Un geste apprécié

De quoi supporter les difficultés de circulation

C'est forcément un peu chaotique, un voyage présidentiel, surtout quand « le président fait entrer une visite de trois jours dans trente-six heures », selon les mots d'un participant. Avec comme résultat un casse-tête organisationnel se traduisant pour la presse accompagnatrice par une sorte de tableau multi-entrées listant les choix mutuellement exclusifs. Du genre « si vous voulez voir la cérémonie d'accueil chez le président indien, vous ne pourrez pas aller au Mémorial Gandhi ». Cette précipitation n'a pas échappé aux Indiens, relevait l'un des principaux représentants du patronat français, « ils trouvent que nous venons trop vite, qu'on les traite un peu comme une Chine de deuxième ordre ». Heureusement que François Hollande avait choisi l'Inde pour son premier voyage officiel en Asie, un geste plutôt apprécié celui-là.

Ce que les patrons indiens n'ont pas beaucoup apprécié, c'est d'entendre la ministre du Commerce extérieur Nicole Bricq s'adresser à eux en français. Certes, un dispositif de traduction simultanée avait été prévu dans la salle de conférence, mais les Indiens ont tellement l'habitude que l'anglais soit la langue unique de communication que bien peu s'étaient munis d'écouteurs. Consternation, en tout cas, des patrons français dans la salle, à l'idée que la ministre ne parle pas anglais. Les plus charitables - mais les moins nombreux -ont spéculé sur une éventuelle directive officielle obligeant la ministre à s'exprimer dans notre langue nationale...

Le style Hollande séduit

Inde et France: un partenariat forcément stratégique, une amité évidemment éternelle

A quoi sert, finalement, ce grand cirque politico-médiatique qui voit une bonne partie des grands patrons du CAC 40 et des dizaines de journalistes et caméramans s'essouffler à suivre le chef de l'Etat et ses ministres au fil de programmes insensés? A plein de choses différentes, en fait. A se familiariser avec l'Inde, évidemment. On a ainsi pu voir Paul Hermelin, PDG de Cap Gemini et représentant spécial du gouvernement pour la relation économique avec l'Inde, disserter avec Laurent Fabius sur l'éventuelle montée en puissance des petits partis régionaux lors des prochains élections générales en Inde. A faire mieux connaissance avec le président de la République, aussi. Tous familiers, évidemment, de son ou ses prédécesseurs, les grands patrons français ont été plutôt séduits par le style Hollande. « Il prend le temps d'écouter, de discuter, Sarko le faisait beaucoup moins, confiait le PDG d'un très grand groupe. Hier soir dans le hall de l'hôtel, il serrait les mains à tout le monde, les services de sécurité étaient affolés. En fait, je le trouve étonnamment non stressé alors que le pays est en guerre! ».

Pour les - rares - patrons de PME présents dans la délégation, l'intérêt c'était de « servir au prestige de notre filiale ici », selon Eric Boittin, PDG du fabricant de cuves pour le lait Serap qui dispose d'une usine dans le Gujarat. Un responsable de petite entreprise déplorait malgré tout de ne pas avoir pu, faute de préparation, envoyer à l'avance des questions aux autorités indiennes pour obtenir des réponses précises lors du passage à New Delhi.

Le président de la République devant les chefs d'entreprise de Bombay

Pour les grandes entreprises, un tel voyage « nous donne une forme de parrainage de l'Etat français » vis-à-vis des autorités indiennes, estime Antoine Frérot, PDG de Veolia Environnement. Pour son confrère Jean-Bernard Lévy, PDG de Thales, c'est le « bon cadre politique » que de tels voyages servent à établir qui est l'essentiel, les contrats étant signés « en leur temps ». Et puis pour être PDG du CAC 40 on n'en est pas moins homme: « un voyage comme ça, ça permet de bavarder avec nos collègues », reconnaissait l'un d'eux, tandis que le représentant en Inde d'un autre PDG désespérait de réussir à « l'arracher à sa bande de copains »...

Reste le but ultime du voyage, pour François Hollande: convaincre les Indiens d'accélérer fortement les échanges entre les deux pays. Ca, ça n'est pas gagné. En fin de semaine, le quotidien Hindustan Times affirmait en substance que « on a bien compris l'importance de l'Inde pour la France; la question est de savoir si la France est importante pour l'Inde ». Il faudra revenir, M. le Président.

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