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Quand l'Inde fait cavalier seul

Les Echos, 30 mai 2013

La tentation est forte en Inde de considérer que le pays peut se permettre de ne pas respecter les normes et usages internationaux. Cela ne marche pas à tous les coups.

Par Patrick de Jacquelot
— Correspondant à New Delhi

Début décembre dernier, le Comité international Olympique a décidé de suspendre l'Inde, interdisant de facto la participation du deuxième pays le plus peuplé de la planète aux prochains Jeux Olympiques. La raison ? Une organisation des relations entre le Comité Olympique indien et le gouvernement de New Delhi non conforme aux règles du mouvement Olympique. En août 2010, le Parlement indien votait une loi sur le nucléaire civil fixant les responsabilités en cas d'accident. Contrairement à la règle internationale qui fait peser les responsabilités sur le seul opérateur d'une centrale, ce texte permet de se retourner contre les fournisseurs d'équipement. Résultat : pas un seul contrat de centrale nucléaire n'a pu être signé par l'Inde depuis cette date. L'année dernière, le gouvernement indien a autorisé les investissements étrangers dans la distribution, monomarque d'un côté, multimarque de l'autre, en les soumettant à une batterie de conditions sévères. Dans le monomarque, il a dû assouplir très fortement ces conditions à deux reprises pour convaincre Ikea de venir en Inde. Dans le multimarque, pas un seul projet n'a été déposé, alors même que Wal-Mart ou Carrefour piaffent d'envie de s'attaquer à un tel marché.

Dans bien des domaines, l'Inde veut s'affranchir des règles ou usages internationaux. Toutes les institutions sont concernées. Les modalités d'investissement dans la distribution ont été décidées par le gouvernement. La loi de responsabilité nucléaire a été mise au point, péniblement, par le Parlement. La justice n'échappe pas au phénomène : en mars, la Cour suprême a pris la décision sans précédent d'interdire à l'ambassadeur d'Italie de quitter le pays, Rome ayant affirmé ne pas vouloir renvoyer en Inde deux de ses soldats accusés du meurtre de pêcheurs indiens. Et l'on pourrait ainsi multiplier les exemples.

En suivant sa propre voie, l'Inde n'a pas toujours tort sur le fond : bien des observateurs pensent que le régime international qui exonère les fournisseurs d'équipement nucléaire de toute responsabilité n'est pas satisfaisant. Mais vouloir jouer solo peut se révéler périlleux.

Pourquoi cette volonté de se distinguer ? « Ce n'est pas une stratégie délibérée, c'est juste la conséquence d'une idéologie de la souveraineté issue de la période postcoloniale et semi-socialiste », estime un observateur européen. De fait, il y a ici le sentiment d'avoir « affaire à des règles qui ont été élaborées de façon unilatérale par les puissances occidentales et qu'il n'est pas facile de les modifier en raison du consensus de ces dernières », analyse Kanwal Sibal, ancien directeur général du ministère des Affaires étrangères, qui fut également ambassadeur d'Inde à Paris. Fondamentalement, l'Inde cherche ainsi à affirmer son identité, sa liberté d'action et ne veut surtout pas sembler céder aux pressions extérieures. Après l'adoption de la loi sur la responsabilité nucléaire, les Américains ont fait valoir que leurs entreprises ne pourraient l'accepter telle quelle : « Dès cet instant, il est devenu impossible de modifier la loi ! », lance Harsh Pant, professeur de relations internationales au King's College de Londres, qui ajoute en souriant que cette volonté d'affirmer son identité rappelle celle qu'a souvent eue la France…

Dans le même ordre d'idées, note un diplomate européen, « les Indiens sont très réticents à l'idée de s'engager dans des accords internationaux qui pourraient se révéler contraignants pour eux. On le voit dans les négociations sur le climat ou sur la libéralisation des échanges », domaines où l'Inde en arrive à être perçue comme plus difficile encore que la Chine.

Cette tendance est confortée par le sentiment répandu ici que l'Inde est un pays tellement important qu'il peut se permettre d'imposer ses propres règles aux autres. Bipul Chatterjee, directeur général adjoint du think tank Cuts International, se fait l'écho de cette attitude en affirmant que « l'Inde est un pays sui generis, où les choses se passent à leur propre rythme, de leur propre façon… » C'est particulièrement vrai dans le domaine commercial, où le raisonnement implicite des autorités indiennes est souvent : « si les étrangers veulent accéder à notre marché, ils n'ont qu'à accepter nos conditions. » Ce qui marche parfois, mais pas toujours, comme on le voit avec les investissements - ou non-investissements - dans la distribution.

Une donnée du problème tient au fait que beaucoup de dirigeants politiques, âgés, ont été formés à une époque où l'Inde était fermée au monde extérieur et qu'ils en mesurent mal les contraintes. En outre, souligne un analyste, « il ne faut pas oublier l'extraordinaire difficulté à trouver des consensus internes au pays, entre les coalitions de partis, le niveau national, les Etats fédérés, etc. C'est un tel casse-tête que s'ils ajoutaient à cela des contraintes internationales, ils ne s'en sortiraient pas ».

Le problème, c'est qu'affirmer son identité à tout prix a un coût élevé. « L'Inde se pénalise elle-même constamment, elle a besoin du nucléaire, d'une distribution moderne et rien ne se passe », estime le professeur Pant, qui donne un autre exemple : « l'Inde continue à affirmer qu'elle est non alignée, qu'elle n'est pas alliée à l'Occident, alors même qu'elle est incapable de traiter seule le problème de la Chine. »

Imposer ses propres règles au reste du monde est en effet un jeu où l'on ne gagne pas à tous les coups et où il faut parfois transiger. Des négociations ont eu lieu à la mi-mai à Lausanne entre le gouvernement indien et le CIO. L'Inde devrait réintégrer la famille Olympique après le vote d'une nouvelle loi régissant ses organisations sportives. Loi qui sera soumise au CIO pour approbation avant son vote par le Parlement indien.

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