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L'ASIE DESSINÉE

BD : du Pakistan à l'Indochine, profession journaliste et héros de bande dessinée


Thèmes: L'Asie en BD

Asialyst, 22 septembre 2017

Un remarquable roman graphique, Le pays des purs, fait revivre les reportages au Pakistan de la photographe Sarah Caron. Plus loin, en Asie du Sud-Est, Les Linh Tho retrace l’enquête du journaliste Pierre Daum pour exhumer le souvenir des Indochinois amenés en France comme main-d’œuvre forcée en 1940.

Patrick de Jacquelot

Le journaliste, héros de bande dessinée ? Le concept n’est pas nouveau : Tintin, après tout, était reporter de profession et a inspiré bien des vocations… Le personnage d’Hergé n’en avait pas moins une pratique du métier que bien peu de professionnels reconnaîtraient ! A l’inverse, on voit se multiplier depuis quelques années les albums retraçant l’histoire d’un véritable reportage, suivant à la trace un journaliste enquêteur dans son travail. Pas pour en faire un héros à la Tintin mais parce que raconter l’enquête elle-même est parfois le moyen de faire entrer le lecteur plus facilement dans un sujet ou de donner de multiples informations sur le contexte qui ne trouveraient pas leur place dans un article classique.

La démonstration en est faite à merveille dans le roman graphique Le pays des purs* consacré aux reportages de la photographe de presse Sarah Caron au Pakistan à la veille de l’attentat de décembre 2007 qui coûta la vie à Benazir Bhutto. Histoire de montrer que la BD est bien ancrée dans le réel, le volume commence par une quinzaine de pages de superbes photos prises pendant ce séjour, y compris de scènes que l’on retrouvera plus tard dans le récit dessiné.

La bande dessinée elle-même retrace les quelques semaines passées par Sarah Caron dans le pays en novembre et décembre 2007. Pour ménager l’intensité dramatique, le point culminant de ce reportage, la nuit de terreur ayant suivi l’assassinat de la chef de l’opposition au général Musharraf, est découpé en plusieurs épisodes entre lesquels s’intercalent les autres sujets de reportage (sur cette période ayant précédé la mort de Benazir Bhutto, lire l’excellent roman La huitième reine de Bina Shah).

Extrait de "Le pays des purs"
(Copyright : La Boîte à Bulles)

Premier objectif de la photographe, à son arrivée à Islamabad : décrocher une séance de photos de Benazir Bhutto. Une étape qui permet de décrire les méthodes de travail des journalistes en terre étrangère, et en premier lieu la recherche du bon « fixeur », ce collègue local qui trouvera les contacts, assurera l’interprétariat, la logistique et fournira le cas échéant les gardes du corps…

Le rendez-vous obtenu, Sarah Caron bénéficie d’un énorme « coup de chance » : c’est pendant sa présence dans la maison où se trouve l’opposante pakistanaise que le président Musharraf décide de l’assigner à résidence – avec toutes les personnes qui sont sur place. La photographe française passe donc quelques journées peu banales au milieu de la « cour » de Benazir Bhutto, tout ce petit monde dormant par terre faute de lits. Ce qui n’empêche pas l’héritière de la dynastie Bhutto de manger du homard pendant sa captivité. Diffusées par les soins de Sarah Caron, ces photos gastronomiques se révèleront quelque peu gênantes alors que « BB », comme l’appelle son entourage, dénonce la dureté de ses conditions de détention…

Le deuxième volet du reportage consiste à aller photographier un chef religieux proche du mollah Omar dans les zones tribales non loin de la frontière de l’Afghanistan, une région extrêmement dangereuse où les étrangers ne sont pas admis. Pour s’y rendre, Sarah Caron reçoit l’aide de Faris, un chef de tribu qui lui assure sa protection. L’occasion d’une plongée dans un monde surréaliste où l’on croise un mollah fondamentaliste qui vit dans une somptueuse résidence construite avec l’argent destiné à sa mosquée, un chef de clan fan de Napoléon et de Victor Hugo, une société où aucun homme ne sort sans sa kalachnikov et où le « code de l’honneur » oblige à protéger son ennemi s’il se trouve chez vous quitte à l’assassiner dès qu’il s’en va.

L’épisode le plus dramatique de cette odyssée pakistanaise reste bien sûr le 27 décembre, jour de l’assassinat de Benazir Bhutto. La photographe n’est pas sur place lors de l’attentat mais elle se rend aussitôt sur les lieux. A l’annonce du décès de leur idole, les partisans de la femme politique sont pris de folie meurtrière. Repérée dans la foule, Sarah Caron, en tant que femme occidentale, devient une cible toute trouvée : une bande d’hommes déchaînés la traque des heures durant. Sarah Caron ne doit son salut qu’à l’intervention, d’abord, d’un parfait inconnu qui risque sa vie pour sauver la sienne, puis de l’arrivée de Faris, le chef de tribu, qui vient, arme au poing, la tirer de ce guêpier.

Servi par un dessin efficace dans la ligne de Serge Clerc, rehaussé d’une élégante bichromie, Le pays des purs réussit à faire lire comme un thriller ce qui est avant tout un reportage bourré d’informations. Le lecteur découvre une multitude de détails sur un des pays les plus complexes et les plus dangereux de la planète, depuis le mode de vie des élites politiques jusqu’à la vision du monde des guerriers pachtounes. Et il peut observer au plus près les méthodes de travail et la passion d’une reporter-photographe intrépide – du genre à supplier son accompagnateur de l’emmener au péril de leurs vies en plein territoire taliban parce que l’occasion est trop belle d’y faire des photos !

"Le pays des purs", couverture et page 28

Dans Les Linh Tho, immigrés de force**, le travail journalistique est certes moins dangereux. Le livre retrace l’enquête de Pierre Daum, correspondant de Libération à Montpellier, sur un aspect oublié de la Deuxième Guerre mondiale : l’arrivée en France en 1940 de milliers d’hommes indochinois, expédiés, de force le plus souvent, pour les faire contribuer à l’effort de redressement économique de la métropole. Des hommes arrachés à leur famille par l’autorité coloniale, voyageant à fond de cale, affectés dans des usines dangereuses et travaillant des années durant sans le moindre salaire. Une fois la guerre terminée, la plupart de ces 20 000 travailleurs rentreront au Vietnam, mais quelques milliers resteront en France, en général parce qu’ils s’y étaient mariés. Curieusement, la volonté d’intégration de ces derniers était telle que leur propre famille ignorait souvent tout des conditions de leur arrivée en France.

Raconter l’histoire de ces « immigrés de force », non pas directement mais par l’intermédiaire de l’enquête de Pierre Daum, se justifie par le fait que l’enquête elle-même aura eu un impact sur cette histoire. A partir de la découverte inopinée d’une photo montrant des « paysans indochinois venus planter du riz en Camargue » en 1942, le journaliste retrouve la trace de quelques survivants en France d’abord, pour ceux qui y ont fait souche, puis au Vietnam.

Sur la base de tous ces témoignages souvent émouvants, le journaliste publie en 2009 un livre qui suscite de multiples réactions. De nombreux enfants découvrent l’histoire de leur père et la mémoire de ces « immigrés de force » revit. Au point que plusieurs villes du sud de la France installent un mémorial ou des plaques commémoratives. Une belle histoire, donc, mise en image par Clément Baloup, grand spécialiste des BD sur le Vietnam (voir par exemple Les mariées de Taïwan).

"Les Linh Tho, immigrés de force", couverture et page 5

* Le pays des purs, scénario de Sarah Caron, adaptation et dessin par Hubert Maury, 176 pages, La Boîte à Bulles, 25 euros.

** Les Linh Tho, immigrés de force, scénario de Clément Baloup et Pierre Daum, dessin de Clément Baloup, 56 pages, La Boîte à Bulles, 14 euros.

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