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L'ASIE DESSINÉE

BD : Coréens en exil, Japonais en réclusion


Thèmes: L'Asie en BD

Asialyst, 1er février 2019

Un beau roman graphique décrit les épreuves de l’exil chinois d’une famille de Corée pendant la Seconde Guerre mondiale. Exil illuminé malgré tout par la naissance de leur bébé. Dans une autre BD, une artiste japonaise raconte son incroyable expérience de vie dans un village communautaire tenant de la secte.

Patrick de Jacquelot

C’est un épisode historique peu connu en Occident. Il y a cent ans de cela, des Coréens se soulevaient contre l’occupant japonais, réclamant l’indépendance pour leur pays. Une tentative sans lendemain qui conduisit alors certains d’entre eux à se réfugier en Chine où fut créé un gouvernement coréen provisoire en exil. Le livre de Jessie, Journal de guerre d’une famille coréenne* raconte la vie – authentique – d’un couple dont le mari faisait partie de ce gouvernement.

L’histoire commence en 1938 à Shanghai, alors lieu de résidence des résistants coréens, avec la naissance de la fille du couple, prénommée Jessie. Le livre de Jessie est en fait le journal intime tenu par la mère jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le récit restitue fidèlement le quotidien d’une famille exilée dans un pays étranger en temps de guerre : les déménagements incessants pour fuir devant l’avancée des troupes japonaises sur le territoire chinois, la recherche constante d’un logement décent ou d’approvisionnements, ou encore les relations parfois amicales, parfois plus tendues avec la population chinoise. La douleur très particulière de l’exil, l’angoisse face au manque d’information sur ce qu’il se passe dans le pays d’origine, la nostalgie imprègnent la vie quotidienne.

"Le livre de Jessie, Journal de guerre d'une famille coréenne", scénario et dessin Park Kun-Woong, Casterman (Copyright : Casterman)

Mais ce sont surtout les impératifs de la survie immédiate qui marquent ces pages. L’aviation japonaise ne cesse, sauf par temps de pluie, de bombarder le territoire chinois, pouvant raser une ville et tuer une grande partie de sa population en quelques heures. La petite famille doit sans cesse courir aux abris, quitte à retrouver son logement détruit à la fin de l’alerte. La peur est tellement constante que la mère de Jessie ne cessera, jusqu’à la fin de ses jours des décennies plus tard, d’éprouver de l’appréhension vis-à-vis d’un temps ensoleillé, demeuré synonyme d’attaque aérienne…

Tout ceci pourrait constituer un récit de guerre classique s’il n’y avait Jessie… Car la présence du bébé qui devient progressivement petite fille éclaire d’un jour très particulier les événements tragiques racontés ici. Motif d’angoisse quand il s’agit de la protéger ou de la nourrir, Jessie est avant tout une source de joie inépuisable pour ses parents. Au milieu des pires épreuves, la vitalité de la fillette, sa joie de vivre, les progrès qu’elle accomplit constituent le plus efficace des antidotes à la mort environnante. Si la dévotion de ses parents envers la mère patrie ne fait pas de doute, la petite Jessie, qui voit le gouvernement en exil au grand complet fêter ses anniversaires, est bien le principal moteur de leur capacité de résistance.

Ce récit de guerre rendu profondément humain par la présence de cette petite fille est superbement servi par la mise en image de Park Kun-woong. Utilisant une technique qui rappelle celle de la gravure sur bois, l’artiste coréen multiplie les petites cases à l’efficacité narrative certaine, tout en se livrant également à de grandes échappées spectaculaires comme une reprise de la vague d’Hokusai servant de support au déferlement de l’armée chinoise, ou encore un glissement saisissant des puces qui assaillent Jessie vers les soldats japonais massacrant les civils dans une ville chinoise. Il est à noter que Le livre de Jessie vient s’ajouter à d’autres romans graphiques récents consacrés à l’histoire de la Corée, dont Mémoires d’un frêne du même Park Kun-Woong et Les mauvaises herbes de Keum Suk Gendry-Kim.

"Le livre de Jessie", couverture et page 34

C’est une plongée dans un univers assez fou que propose le manga Je suis née dans un village communautaire**. Il s’agit du récit autobiographique d’une jeune japonaise, Kaya Takada, qui a passé toute son enfance et son adolescence, durant les années 1980 et 90, dans un « village communautaire » comme il en existait alors dans son pays. Un village – appartenant en fait à tout un réseau – à mi-chemin entre utopie et secte. Avec des règles de fonctionnement proprement stupéfiantes : séparation des enfants de leurs parents (pendant des années la petite Kaya ne verra ses parents qu’un jour tous les quelques mois), soumission totale des enfants à une « éducatrice » toute-puissante, interdiction des petits-déjeuners (Kaya passera plus tard son temps à manger pour compenser la faim constante de ses premières années), discipline de fer imposée par la violence physique et mentale, interdiction de toute possession personnelle (les vêtements se prenaient dans la garde-robe commune), interdiction de lire des livres autres que les quelques-uns autorisés par le village.

Toutes sortes de techniques étaient utilisées pour amener les enfants à intégrer les modes de pensée du village, comme l’obligation de tenir un journal quotidien lu et annoté par l’éducatrice, avec récompenses et sanctions à la clé. Parmi ces dernières figuraient des périodes d’isolement où l’enfant devait réfléchir à ses manquements et autres insuffisances et prendre les résolutions adéquates pour mieux se conformer à l’idéal villageois.

Ce qui rend le récit captivant, c’est que Kaya restitue cette expérience au premier degré, vue par les yeux de l’enfant qu’elle était, qui ne connaissait rien d’autre et pour qui tout cela semblait complètement naturel. Les enfants du village devant aller à l’école publique, ils sont alors confrontés pour la première fois au monde extérieur. Même s’il leur est strictement interdit de se joindre aux activités extrascolaires de leurs camarades « ordinaires » (qui n’appartiennent pas au village), leur fréquentation leur apporte des informations sur des phénomènes inimaginables comme les chansons populaires, les mangas ou l’argent de poche ! Le ton du livre n’est ainsi ni agressif ni vindicatif : il s’agit simplement de la découverte progressive par une enfant du monde dans lequel elle vit, avec plein de joies liées notamment à ses amies. Petit à petit, elle découvre que ce monde n’est peut-être pas aussi « normal » qu’il lui semblait au début… Ce n’est finalement qu’à l’âge de dix-neuf ans que Kaya prendra conscience de la seule chose qu’elle ait réellement désirée depuis son enfance : vivre avec ses parents. Elle se rendra compte aussi que la vie au village était fondée sur un principe simple : pas besoin de se soucier de quoi que ce soit, « il suffisait que je fasse ce qu’on me disait de faire, sans penser à rien, c’était un endroit très facile à vivre. » D’où sa décision finale – et révolutionnaire – de quitter le village pour le monde « ordinaire ».

Ce choix de l’auteure de livrer son récit entièrement par ses yeux d’enfant fait toute la richesse de cet étonnant document. Mais il est aussi à la source d’une frustration : l’absence d’éléments factuels et analytiques sur l’origine de cette communauté et son évolution. On aurait aimé une postface informative, par exemple.

"Je suis née dans un village communautaire", couverture et page 8

Les lecteurs de L’Asie dessinée se souviendront peut-être des grandes sagas d’aventure présentées l’été dernier, et parmi elles, plus particulièrement de Rani. Pour rappel, ce grand roman-feuilleton en BD raconte les aventures au XVIIIème siècle d’une jeune aristocrate française victime d’horribles machinations et qui se retrouve vendue comme prostituée en Inde. On l’avait laissée sur le point d’être décapitée à la fin du tome six. Mais que l’on se rassure : le tome sept, Reine***, qui vient de paraître, la voit devenir l’épouse préférée d’un puissant maharadja. Ce qui ne l’empêche pas d’être toujours exposée à de multiples épreuves… Le huitième et dernier volume de cette réjouissante série paraîtra l’année prochaine.

"Rani", tome 7 : "Reine", couverture et page 38


Autre série connue des lecteurs de L’Asie dessinée : la BD pour enfants Namasté. Depuis les deux premiers volumes déjà chroniqués, les tomes trois (Les larmes de la sorcière Asuri) et quatre (Les griffes du Mande Barung****) sont parus. On y retrouve la petite Française Mina accompagnée de ses parents et de ses amis dans des aventures échevelées en Inde, qui jouent gentiment avec de multiples clichés : magie, spiritualité, yoga et même le yéti… Pour jeunes enfants.

"Namasté", tome 4 : "Les griffes du Mande Barung", couverture et page 37

Les éditions Glénat poursuivent leur exploration de l’art du magicien japonais du dessin animé, Miyazaki. Après deux livres consacrés à Mon voisin Totoro, vient de paraître un très beau volume, L’art de Le voyage de Chihiro*****. Sur 240 pages, une multitude d’aquarelles, croquis préparatoires et dessins permettent de suivre toutes les étapes de la réalisation de ce dessin animé plein de décors envoûtants et de créatures fantastiques.

Couverture de "L’art de Le voyage de Chihiro"


* Le livre de Jessie, Journal de guerre d’une famille coréenne
Scénario et dessin Park Kun-Woong
Casterman
368 pages
24 euros

** Je suis née dans un village communautaire
Scénario et dessin Kaya Takada
Éditions Rue de l’Echiquier
288 pages
19,90 euros

*** Rani, tome 7 : Reine
Scénario Jean Van Hamme et Didier Alcante, dessin Francis Vallès
Le Lombard
48 pages
14,45 euros

**** Namasté, tome 3 : Les larmes de la sorcière Asuri ; Namasté, tome 4 : Les griffes du Mande Barung
Scénario Eddy Simon, dessin Aurélie Guarino
Éditions Sarbacane
48 pages le volume
12,50 euros le volume

***** L’art de Le voyage de Chihiro
Hayao Miyazaki
Glénat
240 pages
24,90 euros


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