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L'ASIE DESSINÉE

BD : odyssée asiatique, quête intime en Inde et suites à foison


Thèmes: L'Asie en BD

Asialyst, 31 juillet 2020

Les voyages d’Ibn Battûta fait revivre l’incroyable périple de ce voyageur du XIVème siècle à travers le Moyen-Orient, l’Inde et la Chine. Rita, sauvée des eaux offre une quête bouleversante sur la piste d’un drame familial. Plusieurs excellentes séries s’enrichissent de nouveaux volumes.

Patrick de Jacquelot

En cet étrange été 2020 où les voyages lointains sont impossibles, coronavirus oblige, voici une BD qui tombe à pic : Les voyages d’Ibn Battûta* semble faite sur mesure pour faire rêver aux expéditions les plus exotiques. Ibn Battûta fut en effet l’un des plus grands voyageurs de l’Histoire. Originaire du Maroc, cet homme qui vivait au XIVème siècle passa vingt-neuf ans à voyager ! Parti initialement faire le pèlerinage de La Mecque, ce musulman pieux étendit peu à peu son périple à la plupart des régions du monde où vivaient des peuples de sa confession, et même un peu plus loin. Il explora ainsi l’Afrique du nord, l’Égypte, le Moyen-Orient, la Perse, la péninsule arabique, la côte est de l’Afrique, la Turquie, l’Asie Centrale, l’Afghanistan, les Indes, les Maldives, Ceylan, l’Indonésie, la Chine et, à son retour, une partie de l’Afrique noire.

Extrait de "Les voyages d'Ibn Battûta", scénario et dessin Joël Alessandra, Aire Libre. (Copyright : Aire Libre) 

De cette odyssée, ce « Marco Polo musulman » rapporta un des tout premiers récits de voyage où figurent aussi bien anecdotes vécues que contes et histoires entendus durant son périple. L’écrivain marocain Lotfi Akalay, décédé en décembre dernier, avait consacré des ouvrages à la vie de l’intrépide voyageur, qui ont servi à l’élaboration de la bande dessinée.

Cet épais volume se présente comme une sorte de carnet de voyage d’Ibn Battûta. S’y mêlent pages de bande dessinée, aquarelles pleine page, esquisses et croquis. Observations historiques et légendes locales se juxtaposent aux détails du voyage lui-même. Cet homme venu de très loin est le plus souvent reçu avec tous les honneurs. Le Sultan de Delhi décide même de l’envoyer comme ambassadeur auprès de l’empereur de Chine ! Musulman pieux, Ibn Battûta ne manque nulle part de procéder aux rites de sa religion, ce qui ne l’empêche pas de connaître des joies bien terrestres : ses hôtes du monde entier s’emploient à le couvrir d’épouses provisoires et d’esclaves toutes plus belles les unes que les autres.

La pagination du livre a beau être généreuse, on est évidemment un peu frustré quand le récit traverse en une ou deux pages l’équivalent de trois ou quatre pays actuels. Mais l’odyssée de cet intrépide voyageur est captivante, et cela grâce au merveilleux travail de Joël Alessandra. La variété de ses registres graphiques et de ses mises en page, la beauté de ses aquarelles et ses couleurs éclatantes sont un régal constant pour les yeux !

"Les voyages d’Ibn Battûta", couverture et trois pages

Ce pourrait être un scénario de mélo : sur une plage d’Inde du Sud, un père de famille occidental voit une jeune Indienne en train de se noyer ; il plonge, la sauve et se noie sous les yeux de son épouse et de ses enfants ; sa famille s’en trouve ravagée avec le suicide de la mère et les troubles psychologiques graves du fils ; trente ans plus tard, sa fille part en Inde à la recherche de la femme qui doit sa vie à son père ; elle la retrouve et les deux femmes tombent dans les bras l’une de l’autre… Un peu « too much » même pour un film de Bollywood ? Sauf que… c’est l’histoire véritable de Sophie Legoubin Caupeil que celle-ci raconte dans Rita, sauvée des eaux**. Un roman graphique surprenant, émouvant et parfois, disons-le, bouleversant.

Le drame intervenu en 1987 a donc détruit la famille de Sophie Legoubin Caupeil et ravagé toute sa vie. Hantée par ces événements, désireuse de leur donner un sens, elle décide en 2015 de retrouver celle par qui tout est arrivé : la jeune mariée qui a échappé à la mort grâce au sacrifice de son père, et avec qui la famille française n’a jamais eu le moindre contact. L’auteure nous livre le récit de sa quête, tantôt cocasse quand elle se trouve confrontée à des décennies d’archives de l’hôpital de Chennai, mangées par l’humidité et les vers, tantôt difficile quand le seul homme pouvant la mettre en relation avec la rescapée refuse de coopérer.

Le miracle arrive cependant, et Sophie reçoit un beau jour un message de Rita. La « sauvée des eaux » ne demande pas mieux que de rencontrer la fille de l’homme à qui elle doit sa vie. Sophie se rendra compte que pour Rita aussi la chape de silence et d’absence qui a suivi le drame aura marqué toute sa vie.

Au fil des pages, l’auteure explique sa démarche, comment elle en est arrivée à se lancer dans cette quête parce que « le temps était venu de faire descendre les fantômes de mon épaule ». Avec énormément de pudeur et de sensibilité, elle raconte comment partir à la recherche de Rita c’était « passer au présent, continuer sa route, jeter enfin le costume de victime ».

Ce voyage intime s’inscrit dans le cadre de voyages bien réels en Inde. L’auteure s’y est rendue une quarantaine de fois depuis son enfance, et son amour pour le pays, que le drame n’a pas entamé, transparaît à toutes les pages. A cet égard, on ne peut manquer de s’émerveiller de sa capacité à ne ressentir ni haine ni même rancœur envers le pays qui lui a pris son père et ensuite sa mère, la famille de Rita qui n’a jamais eu un mot de gratitude et a interdit à la rescapée d’entrer en contact avec ses sauveurs, ou Rita elle-même que Sophie est bien décidée à aimer.

Le récit s’appuie sur la mise en images d’Alice Charbin, illustratrice française ayant vécu en Inde du Sud. Sa connaissance intime de la région se retrouve de bout en bout à travers ses dessins fourmillant de détails : les scènes de rues, en particulier, sont un régal mais les portraits et les attitudes des Indiens ordinaires, policiers, fonctionnaires ou chauffeurs de taxi, sont aussi plus vrais que nature. Alice Charbin joue en outre avec virtuosité sur les divers registres du récit : le présent, les souvenirs du passé, les réactions mentales de Sophie… Un roman graphique hors du commun que le lecteur n’est pas près d’oublier.

"Rita, sauvée des eaux", couverture et page 10

La collection « Le fil de l’Histoire » des éditions Dupuis consacre un de ses titres à Gandhi***. Dans la veine très didactique de ces petits livres destinés aux grands enfants ou jeunes adolescents, on y trouve une évocation de la vie et de l’œuvre du mahatma replacées dans le contexte historique. On peut bien sûr discuter certaines simplifications comme la définition donnée au concept de castes : « groupes différents qui ne se mélangent pas ». Mais l’ensemble est clair et très joliment illustré.

"Gandhi, un soldat de la paix", couverture et page 24

TROIS « SUITES »

Prévue initialement en deux volumes, la BD Une vie avec Alexandra David-Néel**** a finalement été portée à quatre tomes. Après le tome 1, le tome 2 et le tome 3, le quatrième et dernier volume vient de paraître. Dans le droit fil des albums précédents, on y retrouve Marie-Madeleine Peyronnet, qui fut la « jeune fille de compagnie » de la célèbre exploratrice dans un mélange d’anecdotes sur ses relations avec Alexandra et d’épisodes de la vie de cette dernière. Avec cette fois, les pérégrinations d’une statuette du Bouddha et quelques incursions dans le surnaturel… Toujours aussi intéressant pour les fans de la terrible vieille dame et de sa disciple.

"Une vie avec Alexandra David-Néel", tome 4, couverture et page 7

Sengo***** est un fascinant manga qui se passe à Tokyo immédiatement après la défaite du Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après les deux premiers tomes publiés simultanément au début de l’année, le tome 3 vient de sortir. On y retrouve toute une galerie de personnages – militaires démobilisés rongés par la défaite, enfants abandonnés, femmes perdues, petits truands – qui se battent pour leur survie tout en se demandant parfois si survivre en vaut vraiment la peine. Le tout traité sur un ton d’humour noir et avec un dessin très séduisant : la grande réussite se confirme donc pour cette série qui comportera encore plusieurs volumes.

"Sengo", tome 3, couverture et page 11

On avait fait connaissance de Jack Irons dans l’album Les sables de Sinkis, premier volume d’une histoire en deux volets. Le deuxième tome, Les disparus d’Ujung Batu******, vient de paraître. Cet ingénieur spécialiste de la construction de ponts, qui enquêtait à Sumatra sur les graves anomalies empêchant l’édification d’un nouveau pont, avait été capturé à la fin du volume précédent par un dangereux groupe armé. Prise d’otages, terrorisme et trafic de drogue : bourrée d’action, l’histoire se termine en feu d’artifice.

"Irons", tome 3, couverture et page 10

* Les voyages d’Ibn Battûta
Scénario et dessin Joël Alessandra
256 pages
Aire Libre
29,90 euros

** Rita, sauvée des eaux
Scénario Sophie Legoubin Caupeil, dessin Alice Charbin
176 pages
Delcourt
22,95 euros

*** Gandhi, un soldat de la paix
Scénario Fabrice Erre, dessin Sylvain Savoia
48 pages
Dupuis
5,90 euros

**** Une vie avec Alexandra David-Néel, tome 4
Scénario Fred Campoy, dessin Fred Campoy et Mathieu Blanchot
96 pages
Éditions Grand Angle
18,90 euros

***** Sengo, tome 3 Familles
Scénario et dessin Sansuke Yamada
184 pages
Casterman
9,45 euros

****** Irons, tome 3 Les disparus d’Ujung Batu
Scénario Tristan Roulot, dessin Luc Brahy
48 pages
Le Lombard
12,45 euros


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