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L'ASIE DESSINÉE

BD : quand la Seconde Guerre mondiale s’achève en 1947


Thèmes: L'Asie en BD

Asialyst, 14 mai 2022

Avec son onzième tome, l’extraordinaire manga Peleliu clôt l’odyssée de soldats japonais ayant refusé, des années durant, de croire à la fin du conflit. Deux romans graphiques abordent différents aspects de la société sud-coréenne.

Patrick de Jacquelot

La parution de son onzième et dernier tome fournit l’occasion de revenir sur l’exceptionnel manga Peleliu*, auquel L’Asie dessinée a consacré un long article portant sur les neuf premiers volumes et un petit rappel traitant du tome 10.

Cette copieuse série – 2.200 pages en tout ! – nous plonge dans l’histoire hallucinante de soldats japonais ayant continué la guerre dans une île du Pacifique longtemps après Hiroshima. Racontée sous forme de fiction, avec des personnages principaux imaginaires, la saga n’en est pas moins intégralement ancrée dans une réalité historique dûment documentée.

On y voit donc un groupe de soldats japonais basés sur la petite île de Peleliu, au sud du Japon. Confrontés à un assaut massif de l’armée américaine, ils sont rapidement submergés. Mais quelques dizaines d’entre eux se réfugient dans le réseau de grottes creusé sous l’île.

Couverture de "Peleliu, Guernica of Paradise", tome 11, scénario et dessin Kazuyoshi Takeda, Vega Dupuis (Crédit Vega Dupuis)

Là, plusieurs années durant, ils se terrent. Leur objectif : tenir jusqu’au jour, qui arrivera forcément, sont-ils persuadés, où la glorieuse armée japonaise lancera sa contre-offensive et viendra chasser les Américains de Peleliu. En attendant, ils survivent en pillant la nuit les stocks de vivres et de matériel que l’armée américaine a entreposés sur l’île.

Leur histoire va durer deux ans : deux ans de vie dans des conditions épouvantables, entassés dans des grottes insalubres et totalement coupés du monde extérieur. Ils ont pourtant accès à des journaux trouvés dans les poubelles du camp américain, qui leur montrent que la guerre est finie et qui affichent des photos de la vie quotidienne au Japon après l’armistice. Mais rien n’y fait : pour la plupart d’entre eux, une défaite de leur pays est tout simplement inconcevable et ils ont vite fait de se persuader que ces journaux et ces photos ne sont que des instruments de propagande concoctés par les Américains pour les démoraliser.

Il faut attendre le dixième volume pour voir l’un des soldats, rongé par le doute, se rendre à l’armée d’occupation, réaliser que la guerre est réellement terminée depuis deux ans, et aider les autorités à convaincre ses camarades qu’ils peuvent enfin sortir honorablement de leur réclusion volontaire.

À lire : le « Best of » de l’Asie dessinée, les vingt-cinq meilleures BD chroniquées depuis 2016

Dans le onzième et dernier tome, on assiste à leur retour au Japon et à la vie civile. L’évocation du pays ravagé par la défaite fait penser à un autre manga exceptionnel, Sengo (plusieurs chroniques, des tomes un et deux au tome sept). On suit également les retours successifs du héros, Tamaru, à Peleliu durant les décennies suivantes, à la recherche de ses amis disparus.

Peleliu captive à de multiples niveaux : le contexte historique, bien sûr, l’évocation de la mentalité militariste et nationaliste japonaise de l’époque… Les personnages principaux sont fascinants, des simples troufions qui n’ont jamais demandé à être là jusqu’aux chefs obnubilés par leur sens du devoir. La capacité d’un groupe à s’enfermer dans un monde imaginaire refusant la réalité extérieure et rejetant toute information qui ne correspond pas à ses a priori est décrite de façon saisissante : un mécanisme qui résonne étrangement dans notre époque où les théories du complot se substituent à la réalité pour bien des communautés. Et puis, bien sûr, Peleliu est d’abord une histoire prodigieusement racontée et dessinée, avec un style faussement enfantin et une virtuosité graphique de tous les instants. On dévore ses 2.200 pages avec passion et l’on regrette presque que le récit soit déjà terminé… Un exemple de ce que le manga peut nous apporter de meilleur.

Peleliu, tome 11

"Peleliu", tome 11, couverture

On ne présente plus Keum Suk Gendry-Kim, l’auteure sud-coréenne de bandes dessinées la plus connue en France. Ses parutions récentes, largement chroniquées dans L’Asie dessinée, traitaient de sujets difficiles, voire très durs : Les mauvaises herbes parle du sort tragique des « femmes de réconfort », ces esclaves sexuelles utilisées par l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale ; L’arbre nu raconte une histoire d’amour désespérée pendant la guerre de Corée ; L’attente s’intéresse au drame des familles séparées par la scission entre Corée du Nord et Corée du Sud.

Changement radical de registre avec ce nouveau roman graphique : Keum Suk Gendry-Kim passe du tragique au très léger. La saison des pluies** est en effet consacré aux relations complexes et souvent passionnelles que les Coréens entretiennent… avec leurs chiens.

On y suit un jeune couple sans enfant qui adopte un chien, puis deux, puis trois et la place grandissante, voire envahissante, que ces derniers prennent dans leur existence : souci constant de leur santé, de leur bien-être… Une telle passion pour la gent canine est paraît-il très répandue en Corée mais elle s’accompagne de sa face obscure : les chiens peuvent aussi y être recherchés pour leur viande ou y être l’objet de mauvais traitements. Le village où habite le couple en question est ainsi hanté par la présence d’un menaçant « tueur de chiens ».

Bénéficiant de l’élégance du trait de Keum Suk Gendry-Kim, qui multiplie les portraits de chiens sous tous les angles, ce gros roman graphique s’adresse avant tout aux passionnés de ces animaux. Les œuvres habituelles de l’artiste sont souvent tellement fortes et oppressantes que l’on souhaite la voir aborder des sujets plus divertissants. Mais quand elle le fait, on se dit que le drame historique et social est tout de même un registre nettement plus captivant.

Saison des pluies,
                          couverture Saison des pluies,
                          page

"La saison des pluies", couverture et une page

La Corée toujours mais avec une thématique bien différente : Intraitable est une série dont les tomes un et deux étaient parus voici quelque temps. Publiés récemment, les tomes trois et quatre*** permettent d’approfondir cette chronique de la vie en entreprise et du combat syndical dans la grande distribution. Inspirée par la tentative d’implantation de Carrefour en Corée du Sud, l’histoire est celle du combat d’une poignée de salariés contre les méthodes pour le moins brutales de la direction, prête à tout pour empêcher le personnel de se syndiquer. Une chronique sociale hyper-réaliste intéressante mais un peu handicapée par un dessin qui manque de charme.

Intraitable,
                          couverture Intraitable, page

"Intraitable", couverture et une page

Comme son titre le laisse deviner, Le guide du geek-trotteur au Japon**** n’est pas une bande dessinée. Il s’agit d’un guide de voyage un peu particulier, destiné à tous les passionnés de la culture japonaise contemporaine : fans de cinéma, de dessins animés, de jeux vidéo et bien sûr de mangas. Bourré d’informations pratiques, cet ouvrage très dense permet par exemple de visiter les lieux liés aux immortels dessins animés de Miyazaki, ou encore de retrouver toutes les statues érigées à la gloire du héros de One piece, le plus phénoménal succès du manga de tous les temps. Surprenant !

Intraitable,
                          couverture Intraitable, page

"Le guide du geek-trotteur au Japon", couverture et une page


* Peleliu, Guernica of Paradise, tome 11
Scénario et dessin Kazuyoshi Takeda
208 pages
Vega Dupuis
8 euros

** La saison des pluies
Scénario et dessin Keum Suk Gendry-Kim
240 pages
Futuropolis
26 euros

*** Intraitable, tomes 3 et 4
Scénario et dessin Choi Kyu-sok
224 pages le volume
Éditions Rue de l’Echiquier
20 euros le volume

**** Le guide du geek-trotteur au Japon
Marie Carbonnier, illustrations d’Anne Chen
288 pages
Glénat Manga
14,90 euros

 

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