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L'ASIE DESSINÉE

BD pour les fêtes : épopée indienne, esthétique japonaise et enfances chinoises


Thèmes: L'Asie en BD

Asialyst, 14 décembre 2019

Une impressionnante mise en images du Mahabharata, un bel ouvrage graphique sur le Japon, deux émouvantes séries consacrées aux enfants pendant la guerre en Chine : autant de cadeaux tout indiqués pour les fêtes de fin d’année !

Patrick de Jacquelot

Avez-vous lu le Mahabharata* ? Probablement pas, et avec quelques excuses… Ce texte de la mythologie hindoue est aussi horriblement complexe que long : quinze fois la Bible, dit-on… Heureusement, il y a au moins un homme qui l’a lu, c’est le célèbre romancier, scénariste, essayiste Jean-Claude Carrière. Et pour notre plus grand bonheur, il travaille depuis les années 1980 à rendre le Mahabharata accessible au plus grand nombre. Il y a eu la version théâtrale de Peter Brook, une version pour le cinéma, une autre pour la télévision ou encore une version romanesque. Et voici aujourd’hui l’adaptation en bande dessinée.

Il faut être reconnaissant à Jean-Claude Carrière pour tous ses efforts. Car la connaissance du Mahabharata demeure essentielle pour comprendre l’Inde d’aujourd’hui. Cet immense texte épique est l’un des deux, avec le Ramayana, qui ont façonné la mythologie indienne et continuent à alimenter l’imaginaire des Indiens. Les références à la guerre sans merci qui oppose les Pandavas et les Kauravas avec l’intervention de multiples dieux abondent dans la littérature contemporaine, le cinéma de Bollywood ou la vie publique.

Couverture de "Le Mahabharata", scénario Jean-Claude Carrière et Jean-Marie Michaud, dessin Jean-Marie Michaud, Hozhoni éditions (Copyright : Hozhoni éditions)

Si, bien évidemment, la plupart des Indiens n’ont jamais réellement lu le Mahabharata, les scènes clés comme la partie de dés où Yudhisthira perd son royaume, la tentative des Kauravas de dévêtir Draupadi, l’épouse des cinq frères Pandavas, qui échoue quand son sari s’allonge à l’infini, ou encore les conseils prodigués par Krishna à Arjuna, sont universellement connues et racontées à l’infini.

Dès lors, on ne peut que saluer cette transposition en bande dessinée. Jean-Marie Michaud, qui a réalisé l’adaptation et le dessin, a fait un travail considérable et livre un récit qui tient de l’épopée sans se limiter à des scènes de batailles. Si les affrontements de grands guerriers (un peu comme dans L’Iliade) sont bien là, de même que la mise en œuvre d’armes divines terrifiantes, états d’âme et méditations des personnages figurent aussi, permettant de se faire une première idée sur la philosophie du Mahabharata. A la suite de quoi, le lecteur intéressé pourra approfondir ses lectures, en commençant peut-être par les versions livresques de Jean-Claude Carrière ! Avec près de 450 pages, le volume est inévitablement copieux mais demeure parfaitement lisible de bout en bout. Le style graphique original de Michaud doit également être salué : il met en scène avec puissance guerriers, dieux et monstres, palais et massacres. Une lecture qui ne laissera personne indifférent.

"Le Mahabharata", couverture et page 380

La fascination qu’exerce en Occident l’imagerie japonaise ne cesse de se manifester par de multiples publications. Après Japorama, Les histoires d’amour au Japon ou les somptueux Cahiers japonais, voici un nouvel ouvrage, Rêves de Japon**, réalisé par l’Atelier Sentô, c’est-à-dire par deux artistes français, Olivier Pichard et Cécile Brun. Dans ce beau volume relié, ils reproduisent de multiples dessins, esquisses et aquarelles rapportés de leurs multiples séjours dans le pays ou tirés de leurs divers travaux. Parfois réalistes, souvent fantasmagoriques, leurs œuvres traitent de thèmes comme les enfants, le Japon d’autrefois ou le monde des esprits. A la fois précis et pleins de fantaisie, leurs dessins font découvrir un Japon souvent inattendu, bien éloigné des images habituelles de grands buildings ou de trains à grande vitesse. Ils s’attardent plutôt sur le Japon rural, les quartiers populaires des villes ou les petits temples perdus. Sans oublier leur exploration des légendes et des monstres du folklore traditionnel. Un livre plein de charme, servi par un graphisme frais et coloré, qui ravira les amoureux du Japon. Les courts textes explicatifs sont donnés en trois langues, français, anglais et japonais.

"Rêves de Japon", couverture et page 12

Le sort des enfants pendant la Seconde Guerre mondiale se révèle être une source d’inspiration pour de nombreux auteurs de BD. Après le bouleversant La fillette au drapeau blanc le mois dernier, voici deux séries destinées à un public plus jeune et qui, comprenant plusieurs volumes chacune, peuvent constituer de fort jolis cadeaux.

Pouvant être lu à partir de la petite adolescence, le manga Un pont entre les étoiles*** raconte l’amitié indéfectible qui unit Haru, une petite Japonaise, et Xing, un jeune Chinois, à Shanghai pendant la guerre. Écrite et dessinée par une auteure japonaise, l’histoire comporte en exergue une phrase adressée par Haru à Xing : « […] le Japon, ma patrie, elle que j’aimais tant, a réduit ton pays en cendres. » Une proclamation pour le moins frappante quand on voit à quel point le Japon d’aujourd’hui a toujours autant de mal à reconnaître la réalité de son comportement en Asie pendant la guerre.

L’histoire commence en 1936 quand la très jeune Haru arrive avec ses parents à Shanghai où son père va travailler. La famille s’installe dans une belle maison du quartier japonais où l’on peut vivre « comme au Japon ». Mais la fillette est intriguée et séduite par ce monde chinois qui l’entoure, tellement différent de ce qu’elle connaît. Très vite, elle se lie avec un garçon chinois qui lui fait découvrir Shanghai à l’occasion de discrètes escapades : le père d’Haru n’est pas du tout favorable à des relations avec les autochtones… La forte amitié qui se noue entre les deux enfants se heurte ainsi à de nombreux obstacles : barrières culturelles entre les communautés, tensions croissantes liées à l’approche de la guerre, découverte du fait que les parents de Xing ont été tués par l’armée japonaise… Quand la guerre éclate pour de bon entre la Chine et le Japon en 1937, la famille de Haru est rapatriée au Japon avec le reste de la communauté, au grand désespoir de la fillette qui considère Shanghai comme sa véritable maison. En 1941, les Japonais contrôlant fermement le pays, Haru revient à Shanghai avec ses parents. Mais Xing est entre-temps entré dans la résistance active à l’occupation et à son cortège d’horreurs. Les deux adolescents se retrouvent alors dans des camps ennemis. La jeune Haru est écartelée entre son amour pour sa patrie, le Japon, et son refus d’accepter que cela doive l’obliger à haïr sa patrie d’adoption, la Chine, et son ami Xing. Quand la défaite japonaise intervient, le jeune résistant vient au secours de son amie japonaise, ce qui ne va pas de soi dans le contexte de l’époque.

Le scénario d’Un pont entre les étoiles concilie avec grâce les « bons sentiments » d’une histoire d’amitié à laquelle tout s’oppose et la violence du contexte historique. Une galerie de personnages intéressants dans les deux camps vient enrichir l’histoire, servie par ailleurs par un dessin versatile : scènes intimes, paysages urbains, scènes de guerre… Une grande réussite, donc.

"Un pont entre les étoiles", couverture et une page

Mêmes années, même ville, deux enfants encore : La balade de Yaya**** a bien des points communs avec la série précédente. Destinée à des enfants un peu plus jeunes qu’Un pont entre les étoiles, elle peut se lire à partir de sept ou huit ans. La Balade comprend neuf tomes parus voici quelques années en petit format à l’italienne. Elle ressort désormais sous forme de grands albums cartonnés conformes aux canons de la BD franco-belge. Les trois premiers tomes de cette réédition viennent de paraître.

Principale différence avec Un pont entre les étoiles : les enfants de La balade de Yaya sont tous les deux chinois. Yaya est la fille d’une famille riche de Shanghai qui s’intéresse avant tout à sa pratique du piano. Tuduo est un enfant des rues qui, exploité par Zhu, une sombre brute, gagne sa vie en faisant des acrobaties sur le trottoir. Ils se rencontrent de façon accidentelle quand la guerre éclate à Shanghai en 1937. Alors que ses parents ont prévu de prendre le bateau pour se réfugier à Hong Kong, Yaya, particulièrement entêtée, s’est enfuie pour aller passer un concours de piano. Ce faisant, elle est prise dans les bombardements. Le jeune Tuduo vole à son secours et les deux enfants se lancent dans une épopée pour tenter de rallier Hong Kong tout en affrontant les dangers liés à la guerre, à l’anarchie qui prévaut dans les villes et les campagnes, et aux poursuites lancées par Zhu.

Il faudra encore six albums pour savoir si Yaya retrouvera ses parents… Mais en attendant, les trois premiers volumes de cette nouvelle édition séduisent par leur charme. Si l’histoire est jolie et pleine de rebondissements, c’est le dessin de Golo Zhao qui frappe le plus. Déjà remarqué pour son impressionnant album Poisons, le dessinateur chinois déploie ici tout son talent, qu’il s’agisse de décors urbains, d’architecture ou de scènes de bataille, le tout complété par de très belles harmonies de couleurs.

"La balade de Yaya", couverture et page 36

Les lecteurs de L’Asie dessinée se souviennent peut-être des chroniques consacrées respectivement aux premier et deuxième tomes puis au troisième (et dernier) de la BD Le sixième dalaï-lama. Une très belle série qui raconte de manière fort romancée la vie de Tsangyang Gystso, dalaï-lama de la fin du XVIIème siècle, peu porté à accepter aveuglément toutes les contraintes de sa fonction. L’éditeur a eu l’excellente idée de rassembler les trois volumes dans un coffret illustré*****, mettant ainsi en valeur le superbe dessin de Zhao Ze. Destiné aux jeunes lecteurs à partir de dix ans mais susceptible de plaire tout autant aux adultes passionnés de belles BD, l’ensemble est tiré à mille exemplaires seulement et s’accompagne d’un ex libris signé et numéroté : un cadeau de Noël sur-mesure !

Coffret des trois albums "Le sixième dalaï-lama"

Voici un an tout juste paraissait le premier tome de La vallée des immortels, la nouvelle aventure de Blake et Mortimer. La fin de l’histoire vient de sortir, à temps pour s’inscrire dans la liste des best-sellers pour les fêtes. Le millième bras du Mékong****** mène à son terme les aventures des deux héros britanniques tout occupés à protéger Hong Kong de la menace constituée par un seigneur de la guerre allié à l’infâme Olrik. Le scénario mêle avec habileté actualité historique des années 1950, inventions futuristes et histoire très, très ancienne de la Chine, mais en fait peut-être un peu trop en ajoutant une touche de fantasmagorie pas forcément convaincante. Les lecteurs de L’Asie dessinée pourront en tout cas savourer le travail de Teun Berserik et Peter Van Dongen, deux dessinateurs qui œuvrent en tandem : leurs représentations de Hong Kong ou des rizières et des montagnes du Yunnan sont un enchantement.

"Le millième bras du Mékong", couverture et page 6

Autre « suite et fin » d’une histoire déjà chroniquée ici : voici le deuxième tome de La honte et l’oubli******* qui paraît six mois après le premier. On y voit la suite du conflit ayant opposé à la fin du XIXème siècle la puissance coloniale espagnole et les Etats-Unis pour le contrôle des Philippines. Si dans le premier volume les Etats-Unis soutenaient les indépendantistes philippins contre les Espagnols, leur attitude change dès la défaite de ces derniers : il ne s’agit plus que de prendre le contrôle de l’archipel pour leur propre compte. Cette guerre méconnue sera d’une extrême violence, d’où le titre Génocide octroyé à ce deuxième volume. Curieusement, le massacre des Philippins par l’armée américaine figure surtout en toile de fond du récit, dont il ne constitue pas le sujet principal. L’histoire se focalise sur le sort des soldats espagnols qui intervenaient dans le premier tome. Morceau de bravoure : la résistance invraisemblable opposée par un groupe d’Espagnols barricadés dans une église dans un village perdu de l’archipel et qui, sans aucun moyen de communication, refusent de croire que l’Espagne a abandonné les combats depuis longtemps… Un récit très intéressant servi par un dessin réaliste et puissant.

"La honte et l’oubli", couverture et page 15 du tome 2

* Le Mahabharata
Scénario Jean-Claude Carrière et Jean-Marie Michaud
Dessin Jean-Marie Michaud
440 pages
Hozhoni Editions
35 euros

** Rêves de Japon
Texte et dessin Atelier Sentô
228 pages
Omaké Books
25 euros

*** Un pont entre les étoiles, quatre tomes
Scénario et dessin Kyukkyupon
208 pages par volume
Editions Akata
8,05 euros par volume

**** La balade de Yaya,trois tomes parus
Scénario Omont, Girard, Marty, dessin Golo Zhao
48 pages par volume
Editions Fei
10,95 euros par volume

***** Le sixième dalaï-lama, coffret de trois volumes
Scénario Guo Qiang et Shen Nianhua, dessin Zhao Ze
Editions Fei
57 euros

****** La vallée des immortels, tome 2 Le millième bras du Mékong
Scénario Yves Sente, dessin Teun Berserik et Peter Van Dongen
56 pages
Dargaud
15,95 euros

******* La honte et l’oubli, tome 2 Génocide
Scénario Gregorio Muro Harriet, dessin Alejandro Macho Andrès
56 pages
Glénat
14,50 euros


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